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moins sur les prix, sort qu’une part de cet impôt et des profits du fisc tombe à la charge des étrangers, il reste évident que plus de 200 millions sortiraient de la poche des consommateurs au profit des producteurs ; ce ne serait pas une injustice en soi.

Mais ce procédé a l’inconvénient d’établir tout un ordre de choses factice et artificiel qui ne peut manquer un jour ou l’autre de se trouver sur des points importans en désaccord criant avec la réalité des choses, et il est improbable que ce désaccord puisse être maintenu longtemps sans dommage.

Ces objections ont leur valeur. Il n’en reste pas moine certain que le droit de l’agriculture défaire protéger son travail et ses produits, quoi qu’il en coûte, reste absolu et inattaquable dès qu’une branche du travail national est protégée.

Entre deux maux, il faut choisir le moindre ; chercher une solution pleinement satisfaisante est une pure chimère. Il est inutile de plaider ici la cause de la protection douanière ; son programme est connu et a été brillamment et patriotiquement exposé et défendu, avec les concessions qu’il comporte, par les hommes les plus compétens et les plus éminens dans les assemblées, dans les comices agricoles, à la Société des agriculteurs de France et dans la presse spéciale. Du reste, l’agriculture consentirait sans doute en grande partie à abandonner son droit à la protection des blés moyennant une compensation suffisante et une protection efficace pour le reste de ses produits appuyée par de notables dégrèvemens.

Les agriculteurs et les propriétaires auraient raison de faire le sacrifice des taxes d’importation sur les blés, tout en réservant théoriquement leur droit légal. Cette forme d’impôt est trop impopulaire et a été trop violemment attaquée pour qu’on puisse désormais espérer de la faire accepter paisiblement au pays. Assurément cette impopularité résulte d’un préjugé, et l’invoquer comme argument, c’est déplacer la question en la portant sur le terrain politique. Nous le savons, mais autant vaudrait aujourd’hui proposer le rétablissement de la dîme que celui des droits sur les blés importés. De nos jours, le contribuable paie peut-être autant ou plus qu’autrefois, mais d’une façon beaucoup moins pénible et moins vexatoire. Le pays acquitte allègrement le décime et le double décime, mais la dîme, jamais ; en parler serait provoquer une révolution dans les six mois. Comme le disait un ministre aussi judicieux qu’éclairé, M. de Chasseloup Laubat, le tout est de savoir à propos donner des noms nouveaux aux choses anciennes ou des noms anciens aux choses nouvelles et éviter de se heurter de front à des préjugés invincibles.

Les vieilles ornières aussi n’ont-elles pas été remplacées par le