Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/903

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nécessairement du plus ou moins d’abondance de la sève, d’après le même principe qu’un cépage fin et peu fertile sera plus ou moins fin et plus ou moins fertile selon qu’il vivra pauvrement sur un coteau ou richement dans l’alluvion d’une plaine. Le york-madeira, le rupestris, seront peut-être un jour les porte-greffe des espèces à petite végétation, par conséquent des grands crus ; mais attendons une certitude pour toucher à cette question brûlante. Il vaut mieux s’adresser momentanément aux insecticides pour conserver encore ces gloires françaises. Quitte à ne pas trop se fier, à la durée de ce palliatif, on peut lui demander secours pendant qu’on étudié la compensation possible des vigueurs inégales des porte-greffe et greffons, ou qu’il surgisse parmi les sauvageons encore mal connus des porte-greffe de petites races.

Après avoir étudié l’influence très positive du porte-greffe comme quantité de sève fournie, et pas autrement, sur le greffon, des objections bizarres et futiles m’obligent à expliquer comment le greffon ne peut influer sur le porte-greffe que comme quantité de sève reçue et rendue et non comme nature ni espèce. La partie aérienne a nécessairement une grande influence sur la partie inférieure, puisque c’est la sève descendante qui produit l’accroissement ; mais les physiologistes improvisés veulent que le greffon phylloxérable transmette ses aptitudes fâcheuses au porte-greffe, que ce porte-greffe, devenu attaquable, soit attaqué et que sa mort finale rende onéreuses et illusoires nos tentatives de replantation. J’engage ces novateurs à demander au premier jardinier venu si un pécher greffé sur sauvageon et gelé jusqu’au-dessous de la greffe reproduira quand même le fruit de l’espèce du greffon mort ? si un coignassier greffé de poirier poussera du pied des rejets de poirier ou de coignassier ?

La réponse n’est pas douteuse ; le porte-greffe restera ce qu’il était, même nourri de la sève descendante d’une autre espèce que la sienne. Pas plus dans le règne végétal que dans le règne animal, la nourriture n’influe sur l’espèce ; la viande d’un bœuf et celle d’un cheval, nourris de même, garderont chacune leurs caractères distinctifs, quoique l’abondance et la qualité de la nourriture influent sur l’abondance et la qualité de la viande.

La Providence a mis une barrière infranchissable à la confusion des espèces végétales ou animales ; tout en permettant certaines améliorations, la stérilité infligée à ce qu’elle n’a pas créé maintient ces modifications en deçà de certaines bornes. Ainsi, la mule ne produit qu’exceptionnellement, et plus une rose est double, moins elle se reproduit de graines.

Si la sève descendante d’une greffe modifiait les espèces dans