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indirecte d’intéresser à une vérité en la faisant trouver ? Qu’est-ce qu’un emblème, un symbole ? leur nom seul éveille l’idée d’énigmes parfois fort compliquées, dont l’architecture et la sculpture ne pourraient point se passer. Qu’est-ce qu’un trait d’esprit, sinon une étincelle qui illumine ce qu’on ne dit pas ? Si rien ne se cache sous le mot, il n’y a plus de trait d’esprit. Par l’allusion, vous désignez une chose que vous n’osez montrer ; par l’ironie, vous faites comprendre le contraire de votre pensée ; par l’hyperbole, vous dites plus pour faire entendre moins ; par un procédé inverse, moins pour faire entendre plus, vous couvrez d’un euphémisme une pensée déplaisante. Et la périphrase, comment l’oublier ici ? la périphrase qui, paraît-il, a bien des charmes, puisque, durant un demi-siècle, en France, on ne connut pas d’autre régal littéraire. Ce n’est pas tout ; par d’autres procédés vous parlez d’une chose au moment même où vous annoncez hautement que vous n’en parlerez pas ; tantôt vous retardez à dessein votre idée, vous la tenez comme en l’air par une habile suspension pour la faire désirer ; tantôt, par la réticence, vous l’arrêtez net pour la faire deviner. On peut même aller si loin dans cet art de la réticence que des poètes romantiques, on se le rappelle, des poètes cette fois trop discrets, avaient imaginé de ranger sur toute une page blanche des lignes de points, estimant sans doute que la meilleure manière de ne pas tout dire est de ne rien dire du tout. Encore un coup, ce n’est pas la rhétorique qui a imposé ces lois, c’est l’usage général au contraire qui s’est imposé à la rhétorique. Il semble que les hommes aient tout d’abord senti que l’esprit s’endort, si on ne donne à cet être ailé quelque chose à poursuivre ; voilà pourquoi, dans le langage, presque tout est délicatesse fuyante. En dehors de la langue, il en est à peu près ainsi de bien des choses qui nous charment le plus dans la vie : la pudeur est une retenue ; la modestie, un effacement ; la politesse contient les sentimens et les paroles ; la grâce n’est la grâce que pour ne pour voir être définie ; l’amour est bien près de ne plus être quand le mystère n’y est plus. Les femmes, qui ont un sens si naturel et si fin de l’art, ont, par le plus simple instinct, dès le commencement du monde, inventé la coquetterie, qui consiste précisément à donner du prix à la beauté en la dérobant. Bien avant la Galatée de Virgile, on se cachait déjà derrière les saules pour être vue, Cette loi délicate de l’art a été bien comprise par l’artiste grec qui fit la Vénus de Médicis, quand il voulut que la déesse de la beauté et de l’amour nous apparût voilée de son geste.

L’art aime les détours et les mystères, non pas les petits et frivoles raffinemens, qu’il faut toujours mépriser, mais ces mystères tout naturels qui sont faits pour réjouir l’esprit et l’âme ; c’est par