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une île pour appliquer à l’autre des mesures plus ou moins analogues. Le disestablishment de l’église anglicane, en Irlande, n’a pas entraîné la sécularisation des biens de l’église établie en Angleterre, mais il a posé la question pour l’avenir, il a fourni un précédent qui, tôt ou tard, sera imité.

Nous n’oserions dire qu’il en sera de même du landbill de M. Gladstone : entre les deux royaumes, encore une fois, la situation est trop différente pour qu’on puisse jamais copier dans l’un ce qui se fait dans l’autre ; mais cela ne veut pas dire que l’Angleterre ne puisse, elle aussi, avoir un jour ses lois agraires comme elle a eu déjà ses grèves agricoles, sa league ou ses trades-unions d’ouvriers ruraux. En Angleterre aussi, il y a des gens qui songent à morceler la propriété ou, comme nous dirions, à la démocratiser. En Angleterre même, où il n’y a point de tenant-right historique, il s’en crée un pour ainsi dire sous nos yeux, grâce à l’opinion de plus en plus répandue que les améliorations effectuées par le fermier doivent lui appartenir et constituer à son profit un véritable droit sur le sol, droit dont le propriétaire ne peut s’emparer qu’en le payant[1]. A côté des prétentions que peuvent élever les fermiers et les détenteurs temporaires de la terre, il y a les réclamations des ouvriers et artisans qui, pour arriver à la possession d’un home ou d’un foyer, peuvent demander au gouvernement d’employer à leur profit la méthode de rachat et les avances du trésor offertes par l’état aux paysans irlandais.

Ce qui, en présence du bill agraire de l’Irlande, fait la sécurité relative des landlords d’Angleterre, c’est le petit nombre des Anglais directement intéressés dans la question rurale ; mais, par contre, ce qui, pour l’avenir, peut faire la faiblesse de la propriété foncière dans la Grande-Bretagne, c’est le petit nombre des gens directement intéressés au maintien intégral de ses droits. En la concentrant aux mains de quelques milliers de familles le droit d’aînesse, les substitutions, les mœurs aristocratiques ont enlevé à la propriété territoriale en Angleterre la large base populaire qui fait sa force en France.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.

  1. Voyez, par exemple, les Systems of land tenure in various countries, et W.-E. Bear : the Relations of landlord and tenant in England and Scotland, publication du Cobden Club.