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bonheur au scrutin de liste, — et le chef du cabinet, à son tour, n’a pas voulu laisser M. le président de la chambre aller seul chercher des triomphes de pays natal. Il est allé de son côté dans son pays des Vosges, à Épinal, assister aux fêtes d’une exposition agricole. Sur son chemin, M. le président du conseil a eu naturellement, comme M. le président de la chambre, ses ovations, ses acclamations, et il a eu même l’avantage d’être complimenté par des élèves de lycée, qui lui ont déclaré, d’un ton convaincu, qu’ils suivaient passionnément les applications de sa politique. On ne rapporte pas que le représentant du gouvernement en voyage ait recommandé à cette jeunesse de s’occuper un peu plus de ses études et un peu moins de politique ; mais, s’il ne l’a pas dit, il l’a sûrement pensé. Il était pour l’instant sans doute trop préoccupé des discours qu’il allait prononcer à la distribution des récompenses agricoles et dans un banquet, discours dont l’un au moins ressemble à un manifeste, à une sorte de programme électoral. M. Jules Ferry est certainement un esprit singulier ; il a de vigoureux instincts, de la force de volonté. Il a laissé voir, dans plusieurs circonstances récentes, qu’il n’était pas insensible à certaines nécessités supérieures de gouvernement, et l’autre jour, à Épinal, il a précisément avoué non sans quelque orgueil cette ambition d’être un homme de gouvernement. Il n’a qu’un malheur : il n’a pu arriver jusqu’ici à éclaircir, à préciser ses idées, si bien qu’on réussit difficilement parfois à saisir ce qu’il veut, — et ce qu’il appelle sa politique est une confusion où l’on retrouve un peu de tout, même d’assez singulières réminiscences d’un autre temps.

Expliquons-nous. Il y aurait deux points à relever dans le discours d’Épinal, dans ce programme électoral presque officiel. M. le président du conseil n’admet pas que le parti républicain, dont il se considère bien entendu comme le représentant, se divise en whigs et en tories, comme on l’a dit si souvent. Cette division, à ses yeux, serait funeste tant qu’il y a dans les assemblées une trop forte opposition de partis irréconciliables. Le premier et grand objet des élections prochaines devrait être avant tout d’éliminer cette opposition, ces « groupes hostiles » dont la présence rend si difficile le gouvernement de la république par les coalitions toujours possibles de la droite et de l’extrême gauche. D’abord en quoi ces coalitions sont-elles si extraordinaires et si funestes ? Il y a eu récemment deux votes de coalition, l’un à la chambre des députés rétablissant le scrutin de liste, l’autre au sénat maintenant le scrutin d’arrondissement. Dans les deux cas, c’est la droite qui a décidé le succès, — et il y en a eu au moins un où elle n’a pas nui à la république ; mais ce n’est pas tout. M. Jules Ferry ne soupçonne peut-être pas que ce qu’il dit là, c’est ce que disait M. de Persigny sous l’empire. M. de Persigny regrettait, lui aussi, que le moment ne fût pas venu où il n’y aurait « en France comme en Angleterre que des partis divisés sur la conduite des affaires, mais également attachés à nos institutions… » Il