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qu’au prix de longs efforts. Au Mexique, il résiste à toutes les agressions. Ni la guerre civile, ni la guerre étrangère, ni l’incurie de l’administration, ni le désordre des finances n’ont pu le déposséder de ce vaste empire. Dans l’Amérique centrale, sous le climat le plus brûlant, il détient ses conquêtes ; l’Amérique méridionale lui appartient tout entière, et Cuba reste espagnole en dépit de tout, des fautes de la métropole et des convoitises des États-Unis.

Affranchi depuis cinquante-cinq ans seulement du joug de l’Espagne, le Chili a traversé lui aussi cette période inévitable de troubles, de dissensions intestines qui succède presque invariablement à un suprême effort national. Unies pendant la lutte, victorieuses à ce prix seulement, les ambitions se font jour au lendemain du succès. Les tendances diverses s’accusent et s’accentuent. Période critique, pendant laquelle plus d’un peuple héroïque a vu sombrer sa fortune et succomber son indépendance. Pour le Chili, cette période fut courte. Un gouvernement régulier, accepté de tous, rétablit l’ordre dans les finances, dans l’administration, dans l’armée. Au lendemain même de sa victoire sur l’Espagne, il envoyait ses soldats combattre pour la libération du Pérou, il épuisait son trésor pour créer une flotte, recruter une armée et livrer à Ayacucho une dernière et sanglante bataille pour l’affranchissement de l’Amérique du Sud. En paix avec ses voisins, séparé d’eux par des barrières naturelles, le Chili put se mettre au travail, cultiver son sol, développer ses ressources et, pendant les dernières trente années, jouir d’une prospérité et d’un calme inconnus aux autres républiques hispano-américaines.

La découverte de la Californie, le grand courant d’immigration qui se dirigea sur les côtes nord de l’Océan-Pacifique, donnèrent une vigoureuse impulsion au commerce du Chili et modifièrent considérablement sa situation économique. L’émigration européenne à destination des mines d’or s’effectua d’abord par le cap Horn. Valparaiso devint très rapidement un centre important, un point de relâche obligé pour les navires qui venaient d’affronter les tempêtes du cap Horn et qui, tous, se ravitaillaient et s’approvisionnaient dans ce port. De 1843 à 1852, le commerce de Valparaiso décupla par le fait du transit. Il grandit bien plus encore par l’exportation. La Californie ne produisait rien que de l’or. Les émigrans y arrivaient par milliers. Tout manquait, et ce qui faisait défaut, le Chili seul, alors, pouvait le fournir. Les armemens se multipliaient dans ses ports. Pendant plusieurs années il eut le monopole des fournitures de farines, vivres, approvisionnemens de toute nature. Valparaiso, Valdivia, Concepcion s’enrichirent. L’or de la Californie affluait au Chili, l’intercourse maritime lui ramenait des émigrans découragés, sa population s’augmentait par le fait d’une prospérité rapide et