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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/611

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à sentir qu’à définir, qu’on appelle le prestige. Après sa mort, on ne se souviendrait plus que de ses mérites ; on les ferait servir, un jour ou l’autre, à critiquer et à déprécier son successeur. Celui-là, quel qu’il fût, aurait des qualités autres que celles de Mariette ; ce serait assez pour que tous ceux qu’irritent la fortune et le talent du prochain s’accordassent à dénigrer le nouveau venu, pour qu’ils le proclamassent inférieur, par cela seul qu’il serait différent.

Cette comparaison, où la malveillance aurait si beau jeu, M. Maspero ne s’en est point effrayé ; il a eu confiance dans son étoile ou plutôt dans la ferme volonté dont il a déjà donné plus d’une preuve et dans ce dévoûment à la science qui lui a valu l’honneur d’être, jeune encore, entouré déjà de tout un cortège d’élèves. Il s’est fié à cette terre d’Égypte, à cette terre « saturée d’histoire[1], » qui n’a pas encore dit, qui ne dira pas de sitôt son dernier mot. L’événement a justifié et récompensé sa hardiesse. Tous ceux qui le connaissaient lui auraient volontiers fait crédit de quelques mois ou même d’un ou deux ans. Il avait été jusqu’alors un savant de cabinet ; jamais il n’avait remué une motte de terre ; il n’avait point vu l’Égypte. Ne lui fallait-il pas le temps de se mettre au courant de fonctions si nouvelles, de se familiariser avec un milieu où s’agiteraient autour de lui bien des intrigues et où les plus avisés même sont exposés à plus d’un faux pas ? Pouvait-on espérer que, du jour au lendemain, il fût en état de suivre, même de loin, les exemples du plus vaillant et du plus heureux des fouilleurs ? Le mot, nous le savons, n’est pas dans le Dictionnaire de l’Académie, mais n’est-on pas fondé à le risquer, pour désigner une nouvelle forme de l’invention et de la recherche, dans le siècle des Botta et des Layard, des Lepsius et des Mariette, des Cesnola et des Schliemann ?

Ce crédit qu’on lui offrait, M. Maspero n’en a point usé. Dès le printemps, le bruit d’intéressantes découvertes arrivait jusqu’à nous, et, tout récemment, le 22 juillet, l’Académie des inscriptions entendait le successeur de Mariette exposer les principaux résultats de sa première campagne de fouilles. La nécropole de Memphis et celle de Thèbes ont livré de nouveaux secrets à la curiosité des égyptologues ; des monumens ont été retrouvés dont les uns complètent les listes royales et éclairent certaines obscurités de l’histoire politique, tandis que les autres ajoutent beaucoup au peu que nous savions de l’histoire religieuse de l’Égypte. Les pyramides mêmes, muettes jusqu’à présent et que Mariette croyait condamnées à un éternel silence, les pyramides ont parlé. Ces textes de huit cents lignes que l’on vient d’y recueillir, dans les tombes de rois de la

  1. L’expression est de M. Caro, dans le discours qu’il a prononcé en recevant à l’Académie française M. Maxime Du Camp.