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bonne foi, en se bornant, suivant la loi constante de ce genre de transformations, à célébrer le culte de Jéhovah là où l’on adorait les divinités locales que celui-ci venait détrôner. C’est ainsi que se formèrent les autels de Sichem, de Bethel, de Bersaba, et bien d’autres aux premières époques de l’émigration, avant que l’idée d’unité absolue eût détruit les diversités locales qui marquent toujours les débuts d’une civilisation. Sur les points mêmes où des sanctuaires n’existaient pas, les Hébreux ne se firent aucun scrupule d’en créer; Guilbal, Siloh, Ophra, Rama, etc., devinrent de cette façon des centres religieux où l’on convergeait de tous côtés. Ce n’était pas tout. Outre ces lieux consacrés d’une manière permanente, dès que le besoin s’en faisait sentir, on élevait à la hâte des autels passagers qui servaient à des fêtes ou à des cérémonies de circonstance et qui disparaissaient avec l’événement qui en avait provoqué l’érection. À ces époques reculées, le sacrifice n’avait pas encore le caractère qu’il a revêtu plus tard; il n’était point restreint aux règles d’un rituel déterminé; il consistait en repas et en réjouissances dont on offrait les prémices à Jéhovah et qui ressemblaient beaucoup plus à des agapes païennes qu’aux cérémonies strictement monothéistes des siècles suivans. Ézéchiel appelle le culte des hauteurs : « manger » sur les montagnes. Ce culte, qui rassemblait autour d’un même festin, sous l’œil de Jéhovah, à chaque période importante de la vie, — au moment des moissons, à la veille des expéditions militaires, à l’arrivée d’un hôte distingué, — tous les membres de la même famille ou de la même corporation, avait pour but de consacrer à la fois des relations entre la terre et le ciel et entre les divers membres d’un groupe terrestre. Jéhovah s’unissait à ses hôtes, et sa présence augmentait l’union mutuelle de ceux-ci. On allait donc à Silo ou à Bethel « manger et boire devant Jéhovah, » sans se douter un instant qu’un jour viendrait où ces démonstrations fraternelles seraient flétries comme des crimes et taxées par une orthodoxie sévère de coupable idolâtrie. L’auteur du livre de l’Exode ne connaissait pas encore le dogme de l’unité du sanctuaire : « Tu me feras, fait-il dire à Jéhovah, un autel de terre et tu y offriras tes victimes... En quelque lieu où je veuille faire honorer mon nom, je viendrai à toi et je te bénirai. Si cependant tu veux me construire un autel en pierres, tu n’y introduiras point les pierres taillées. Car ces pierres que le fer aurait touchées seraient impures. Tu n’établiras pas mon autel sur les gradins, ce qui pourrait découvrir ta nudité. »

Nous sommes loin, on le voit, non-seulement du temple de Salomon, mais encore du tabernacle! En quelque lieu qu’il lui plût, Jéhovah se présentait à l’adoration ; ce qui prouve que la multiplicité