Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se plaint, ajoutait M. Pietri, de voir les pensées du chef de l’état paralysées par les intermédiaires, dans leur passage de la conception à l’exécution. La quiétude dans laquelle vivent les ministres amoindrit le profit qu’on pourrait tirer de leur valeur. La somnolence de leur sécurité pour leur situation éteint chez eux l’esprit d’initiative, l’activité dans la direction de leurs départemens. »

Malgré l’intérêt et les enseignemens que peut présenter l’histoire lorsqu’elle est racontée par ceux qui l’ont vécue, dégagés de tout esprit de parti, sans autre souci que l’amour de la vérité, on hésite à apprécier la politique du souverain que l’on a servi. Mais les hésitations tombent lorsque, certain d’ailleurs de ne manquer ni au devoir de l’équité, ni au respect de l’infortune, on voit avec quelle sévérité des serviteurs dévoués, dans les lettres qu’ils adressaient à l’empereur, appréciaient l’inconséquence et les défaillances de son gouvernement.

L’empereur devait apprendre chaque jour davantage ce qu’il en coûte de se constituer le libérateur des peuples et de négliger pour l’Europe, dans une vue élevée sans doute, les intérêts vitaux de son propre pays. Partout où il portait ses regards, il voyait ses intentions méconnues. La Russie lui reprochait d’avoir manqué aux arrangemens de Stuttgart ; l’Angleterre, heureuse de nos déconvenues, le traitait en allié infidèle ; le Danemark démembré lui apparaissait comme un remords ; l’Autriche le considérait comme la cause de tous ses malheurs ; la Prusse le persiflait, et l’Italie, pour laquelle il avait tant sacrifié, jetait le masque et lui causait d’amères déceptions.

Dès le lendemain de la guerre, le roi Guillaume lui révélait le fond de son cœur en annonçant aux chambres prussiennes les hauts faits de l’armée et les résultats de ses victoires. Il parlait de la guerre sans faire allusion à la neutralité bienveillante observée par la France. Il passait sous silence la suspension d’hostilités, la convention d’armistice, et les préliminaires de la paix. Il affectait de ne pas dire un mot de l’œuvre désintéressée de notre médiation. Il parlait au contraire avec emphase des fruits qui devaient éclore de la semence sanglante, et avec orgueil de la mission de la Prusse, qui ne serait remplie entièrement que par la régénération de l’Allemagne. Ce langage n’était ni obscur ni équivoque : on ne pouvait s’y méprendre. On le ressentit péniblement à la cour des Tuileries. La presse prussienne rehaussait encore cette fière manifestation de la victoire par les commentaires les plus blessans. « La France, disait-elle, a toujours eu la prétention de nous être indispensable et de régler les affaires de l’Europe et surtout les nôtres. Nous venons de lui prouver que nous savons nous passer d’elle. Nous sommes aujourd’hui la première nation militaire du monde et nous voulons en profiter. Nous n’avons plus besoin de l’assistance de personne