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I.

L’erreur de tous les projets et décrets antérieurs à celui du 3 brumaire an IV avait été de créer des circonscriptions scolaires artificielles. À l’exemple de Condorcet, qui voulait une école primaire par chaque groupe de quatre cents habitans, et sous prétexte d’égalité, on ne s’était jusqu’alors attaché qu’au chiffre de la population. On avait négligé le plus important, c’est-à-dire les circonstances de fait, de lieu, de temps, historiques ou naturelles, dont la loi doit toujours s’inspirer, à peine d’être inefficace et même dangereuse. La logique révolutionnaire est ainsi faite, qu’en toute question elle ne voit jamais qu’un point. On ne saurait, — nous l’avons déjà dit, — adresser ce reproche aux auteurs de la loi du 3 brumaire. Éclairés par l’expérience, moins enthousiastes, mais plus avisés que leurs devanciers, Daunou et ses collègues avaient eu l’idée de prendre le canton pour base de leur organisation. C’est au canton qu’ils avaient placé le premier degré d’instruction. Cette circonscription leur avait semblé tout indiquée. Et, de fait, il n’en était pas de meilleure pour le temps. Avant de créer des écoles de village, au prix de sacrifices excessifs, la raison commandait d’en établir au moins une dans les localités importantes. C’était peut-être contraire à la stricte équité ; aux yeux des théoriciens purs, le dernier des hameaux a les mêmes droits que Paris. Politiquement, administrativement, rien n’était plus pratique et plus sage.

Une autre partie de la loi du 3 brumaire à laquelle il serait injuste de refuser des éloges, c’est celle qui traite du mode de nomination et de révocation des instituteurs et plus généralement de leur condition matérielle et morale. Là encore, on peut le dire, le législateur de l’an IV avait été très heureusement inspiré. Sous l’ancien régime, l’aptitude des maîtres n’était pas sévèrement contrôlée ; ils étaient d’ordinaire désignés par le curé, qui répondait de leur orthodoxie, et choisis par l’assemblée des pères de famille après un interrogatoire le plus souvent assez sommaire. On n’exigeait d’eux aucune autre marque de savoir. En revanche, ils étaient révocables à volonté, soit par la communauté, soit par l’évêque ou son représentant. Combien différente la situation de l’instituteur dans la nouvelle organisation ! Tout d’abord, il faut qu’il ait fait ses preuves. Il ne peut être nommé par l’administration départementale, sur la présentation de la municipalité, qu’après examen devant un jury d’instruction. Ainsi trois échelons, trois degrés à franchir avant d’obtenir le grade, ou mieux la fonction. De même pour la perdre : une fois nantis, — nous citons ici textuellement, — « les instituteurs ne pourront être destitués que