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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/426

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secret par-dessus tout. Nellie eût été plus parfaite qu’il n’est donné à une femme de l’être si elle fût parvenue à dissimuler en pareille circonstance ; elle convenait avec Saint-John de l’antipathie que lui inspirait cette extravagante qu’on la contraignait à recevoir. Le sentir de son avis était une sorte de consolation pour elle, mais jamais ni l’un ni l’autre, en parlant de l’objet de leur commune aversion, n’associèrent à son nom celui de Wilfred ; c’était comme une loi qu’ils s’imposaient tacitement.

Deux journées s’écoulèrent, bien lentes et bien lourdes, au gré de Nellie ; le dimanche, elle se rendit à l’église pour y offrir au Dieu des simples et des malheureux ses humiliations de toutes les minutes et les angoisses de son insurmontable jalousie, tandis que Mme de Waldeck allait sur la plage avec Wilfred écouter de son côté, disait-elle, les sermons de la nature, plus éloquens que ceux d’un prêtre de campagne. Lorsque la jeune lady Athelstone revint, les deux promeneurs n’étaient pas encore de retour ; elle monta tout droit à sa chambre, et, en y rentrant, remarqua d’abord un papier posé bien en vue sur la toilette. C’était une demi-feuille sans enveloppe, et elle reconnut l’écriture,.. celle de Wilfred. Lui avait-il écrit, tandis qu’elle était à l’église ?.. Mais non !.. La lettre n’avait pas de commencement, c’était un fragment déchiré ;.. d’où venait-il ?.. Elle y jeta les yeux avec inquiétude.

« … Donc rien ne m’empêchera de m’embarquer au mois d’octobre, comme nous en sommes convenus. Tout ce que vous déciderez m’agréera, ai-je besoin de le dire ? J’attends votre arrivée ici avec impatience pour pouvoir causer avec vous de nos futurs projets ; mais veuillez n’y faire encore aucune allusion devant ma femme. Je compte ne l’avertir qu’au dernier moment. La brochure que vous m’avez prié d’écrire est sous presse.

« Fidèlement vôtre,
« Athelstone. »


Nellie regardait autour d’elle abasourdie, n’en pouvant croire ses yeux. Lentement elle relut les lignes fatales ; aucun doute ne lui semblait possible ; elles étaient adressées à Mme de Waldeck ; il allait abandonner son foyer, franchir les mers avec cette femme ! Nellie se laissa tomber sur sa chaise longue ; le sang bourdonnait dans ses artères, des pleurs brûlans l’aveuglaient ; enfin, cachant sa tête entre les coussins, elle se mit à crier au milieu de ses sanglots : — Non ! ce n’est pas possible ! ce n’est pas possible !

Et cependant la terrible réalité s’imposait à elle au milieu de son désespoir. Elle croyait comprendre… Depuis quelque temps déjà