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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/432

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— Je ne réclame les soins de personne, répondit-elle dans un gémissement étouffé. Qu’on me laisse mourir !

— Mais qu’avez-vous, ma chérie ? demanda-t-il, sérieusement alarmé. Vous ne parliez que d’un peu de fatigue. Êtes-vous malade ? Dois-je envoyer chercher le docteur ?

— Je ne veux pas de docteur, s’écria-t-elle impétueusement. Je ne veux que toi, je n’ai besoin que de toi, et cette femme t’emmène, la misérable !

Se tournant vers lui, elle lui jeta ses bras autour du cou et se mit à sangloter.

— Ma chère enfant, tout ceci est absurde. Il faut apprendre à maîtriser une jalousie, sans fondement, je vous jure… Ne puis-je plus vous quitter quarante-huit heures sans que vous tiriez de mon absence ces conclusions ridicules ?

— N’essayez pas de nier. Je sais tout, Wilfred, oui,.. tout… Oh ! par pitié, reste ! Tu es bon, tu agis sous l’empire d’un vertige ;.. mais elle veut t’arracher à moi,.. et je ne le souffrirai pas, non, je ne le souffrirai pas… Je mourrai d’abord… Tu deviendras libre d’épouser la seule femme qui soit vraiment digne de toi, celle qui aurait été tienne, si tu avais seulement voulu attendre !.. Ah ! je n’ai ni talent ni éloquence, rien que mon amour infini… Mais au nom de cet amour que tu n’as pas toujours méprisé, je t’en prie, écoute !.. Cette créature te mène à ta ruine. Si tu vas avec elle en Amérique…

— Qui vous a dit que j’allais en Amérique ?

— Je l’ai entendu de ta bouche. J’étais sous la falaise.

— Je n’aurais jamais cru que vous fussiez capable de m’épier, Nellie. Si vous entendez des choses qui vous font de la peine, j’en suis fâché. Quant à mon projet de tournée en Amérique, vous l’avez appris un peu plus tôt que je n’aurais voulu, voilà tout. Il me faut de l’argent et je n’ai pas d’autre moyen de m’en procurer.

— Laissez-moi partir avec vous, en ce cas.

— Quelle folie !.. Et comment supporteriez-vous une pareille fatigue, quand la moindre chose vous abat, vous énerve ?.. Une heure de promenade en mer et vous êtes malade… Vous n’y songez pas… Ce serait une préoccupation constante pour moi ; vous me gêneriez.

— Je vous gêne dès à présent, sanglota Nellie en se renversant sur l’oreiller ; mais attendez un peu de temps encore, bien peu de temps,.. et vous serez libre,.. je vous le promets,.. je le sens là… Seulement, si je meurs pendant votre absence, vous appartiendrez à cette femme, vous ne lui échapperez plus jamais ! Elle vous amènera à l’épouser,.. elle compte là-dessus. Je le lis dans ses yeux. Elle me tuerait si elle l’osait !