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une Ténébreuse affaire. » C’est encore ainsi, par une inévitable nécessité de liaison, que s’est déversée dans le roman l’exacte terminologie des ateliers, le solécisme commercial, le barbarisme industriel, la catachrèse des halles, la synecdoche de la rue, langue vivante, a-t-on dit, mais plutôt langue barbare, en ce qu’elle est toujours abréviative du souci de bien dire et libératoire de l’obligation de penser. Enfin c’est encore ainsi que s’est introduite dans le roman cette question d’argent et, naturellement, avec elle, tout ce que l’acquisition de la fortune, ou le soin de sa conservation seulement, exige de patience et d’efforts, de calculs et de combinaisons, d’arithmétique et d’algèbre, de chicanes et de procès, de défaites subies et de batailles gagnées. « Il ne les a pas logés, tous ses. beaux jeunes gens sans le sou, dans des mansardes de convention tendues de perse, à fenêtres festonnées de pois de senteur et donnant sur des jardins ; il ne leur fait pas manger des mets simples apprêtés par les mains de la nature ; il ne les habille pas de vêtemens sans luxe, mais propres et commodes ; il les met en pension bourgeoise chez la maman Vauquer ou les accroupit dans l’angle d’un toit, les accoude aux tables grasses des gargotes infimes, les affuble d’habits noirs aux coutures grises et ne craint pas de les envoyer au mont-de-piété, s’ils ont encore, chose rare, la montre de leur père. » C’est à Théophile Gautier que j’emprunte ces lignes. M. Taine, dans la belle étude qu’il a consacrée jadis à Balzac et qui pourrait bien avoir éveillé la vocation de M. Zola, remuant cette même question d’argent, en a peut-être parlé plus fortement que Théophile Gautier. Mars nous aimons mieux la légère et bienveillante ironie qui perce ici sous l’éloge. Théophile Gautier donne la vraie note. Admirons Balzac, mais ne sacrifions personne sur ses autels. Il n’a pas fondé « notre roman actuel ; « peut-être même, — et c’est un aveu dont il faut tenir compte à M. Zola, — renierait-il l’école de Médan ; il a tout simplement écrit le roman de Balzac. N’est-ce pas assez ?

Et puis, si nous ne voulions pas strictement limiter ces indications rapides à la littérature française, croit-ou qu’il n’y aurait pas bien lieu de dire ici quelques mots du roman de mœurs anglais contemporain ? M. Zola prendrait-il sur lui d’affirmer que Dickens ou Thackeray, pour ne nommer que les plus populaires, n’ont pas exercé quelque influence, eux aussi, sur le naturalisme français, beaucoup plus grande assurément et beaucoup meilleure que MM. de Goncourt, dont M. Zola loue tous les romans, forme et fond, en vérité, comme s’il ne s’apercevait pas que ces laborieux et précieux artisans de style, plus alambiqués qu’un Crébillon ou qu’un Boufflers, s’éloignent du naturalisme à mesure qu’ils appliquent à des sujets plus vulgaires, comme celui de Germinie Lacerteux, des procédés de style plus savans, ou pour mieux dire plus étranges, et moins naturels ?

C’est par là que l’école est en train de compromettre ses qualités.