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Il y a eu presque de tout temps divergence, — excepté dans les Souffrances du professeur Deltheil et les Bourgeois de Molinchart, — entre la forme de ses sujets et l’enveloppe dont elle les habille. Le style de Mérimée, par exemple, que Flaubert accusait de n’être pas un style, très simple, un peu maigre, mais d’autant plus net et plus précis, est infiniment plus voisin de la réalité que le style, très précis aussi, mais dur, avec des reflets métalliques, pour ainsi dire, très artificiel et très compliqué de l’auteur de Madame Bovary. Ce n’est pas donner un mauvais conseil à M. Zola que de lui signaler ce danger. Nous voyons, au surplus, qu’il commence à le com- prendre. Il y a dans les dernières pages de son volume quelques idées assez justes sur le style, et particulièrement sur la difficulté d’être naturaliste, si l’on ne s’efforce pas tout d’abord d’être naturel. Mais puisqu’il a de telles idées, comment peut-il louer le style de MM. de Goncourt? ou pourquoi le loue-t-il tant, s’il a vraiment de telles idées ? A moins que ce ne soit là ce qu’il appelle, dans son ignorance de la langue, « rester en dehors des banalités et des complaisances de la critique courante. »

Il faudrait maintenant faire, dans ce programme d’une histoire du roman naturaliste, la place de Gustave Flaubert. Car pour les réalistes qui jadis, vers 1848, s’insurgèrent les premiers, sous les auspices de M. Champfleury, contre la domination du romantisme, puissant encore quoique expirant, nous souscrivons des deux mains au jugement qu’en a porté M. Zola. Mais il n’y a pas assez longtemps qu’ici même[1], nous avons essayé de caractériser, en même temps que son œuvre, quelques-uns des procédés dont Flaubert avait transmis la recette à l’école, pour qu’il y ait utilité d’y revenir. Disons donc seulement que, pour si peu que nous ayons voulu toucher à l’homme, les Souvenirs de M. Maxime Du Camp[2] nous auraient permis d’ajouter quelques traits à sa physionomie, et quant au romancier, bornons-nous à noter que ce serait ici sa vraie place.

On doit commencer à voir, au terme de cette rapide esquisse, qu’il y a peut-être d’autres « chefs » du roman naturaliste que ceux que M. Zola s’est contenté de nommer. Il est vrai qu’en revanche il pouvait se taire de Stendhal. L’influence de la Chartreuse de Parme est nulle dans l’hi-toire littéraire du siècle. Car, si par hasard on fait honneur à Stendhal d’avoir plus d’une fois répété, — qu’à une société bourgeoise c’étaient des mœurs bourgeoises qu’il fallait donner désormais en spectacle, — alors, la part de Scribe est au moins égale à la part de Stendhal. La part de Balzac, à son tour, si considérable qu’elle soit, plus considérable que celle de George Sand, ne l’est pas plus que celle des romanciers, qui, sur les traces de Walter Scott, ont les premiers replacé dans leur

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1880.
  2. Voyez la Revue du 1er septembre 1881.