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redoutable en ce nouvel envoyé pour lequel, à première vue, le goût d’Elisabeth s’était ouvertement prononcé. C’est que Simier parlait encore mieux que La Môle cette douce langue de la galanterie française qui charmait tant Elisabeth ; c’est qu’en répétant les paroles amoureuses de son maître, il avait l’adresse d’y mêler les siennes. « Ces propos, écrit gravement Castelnau, font rajeunir la reine ; elle est devenue plus belle et plus gaillarde qu’il y a quinze ans. Il n’y a femme, ni médecin qui la connaisse, qui n’estime qu’il n’y a nulle dame en ce royaume de meilleur tempérament pour porter des enfans. » Le galant Simier n’en discutait pas moins très sérieusement les conditions du mariage. Cecil, dans les longues conférences qu’il avait avec lui, ne cessait de répéter que le duc obtiendrait tout, s’il consentait à venir. C’était aussi l’opinion de Mendoza, l’envoyé d’Espagne ; mais Simier, moins crédule, écrivait au chancelier d’Alençon : « Je ne croirai au mariage que lorsque les draps seront levés, les flambeaux éteints, et mon maître dans le lit. »

Elisabeth en était arrivée au point de ne pouvoir se passer de Simier. À la suite d’une longue conférence pour son mariage, elle exprima le désir de rester seule avec lui et dit à Leicester d’emmener Castelnau à la chasse. Leicester obéit ; à son retour, trois heures après, la reine et Simier étaient encore ensemble. Leicester offrit à souper à Castelnau, et Simier soupa avec la reine. « Il n’y a pas de jour, écrivait Castelnau, qu’elle ne l’envoie demander. Une fois elle est venue dans sa barque le chercher jusqu’à mon logis ; il fallut qu’il vînt la trouver en pourpoint. Cela fait donner au diable ceux qui en ont mal au cœur ; ils disent que M, de Simier la trompera et qu’il l’a ensorcelée. » Tout marchait donc à souhait ; la reine ne s’habillait plus et ne faisait plus habiller sa cour qu’à la française ; elle répondait à un de ses conseillers qui lui reprochait sa trop grande intimité avec Simier, que ce n’était plus un étranger pour elle, mais un fidèle serviteur de son mari. C’en était trop pour Leicester, il résolut de se débarrasser de ce rival. Un soldat de la garde de la reine essaya une première fois d’assassiner Simier, mais il se défendit et échappa au guet-apens. Une autre fois, dans une de ces promenades en bateau qu’il faisait avec Elisabeth sur la Tamise, un coup de pistolet, parti d’un esquif qui passait rapidement près de celui de la reine, blessa un des rameurs. Le coup était destiné à Simier. Ce double attentat ne fit qu’augmenter sa faveur. Son intimité avec la reine devint le thème de tous les entretiens dont Marie Stuart se fit imprudemment l’écho ; dans une lettre écrite un jour de colère, lettre qu’Elisabeth, à coup sûr, ne dut pas recevoir, car la tête de sa victime fût tombée plus tôt, elle lui jeta à la face cette grossière insulte : « Je prends Dieu à témoin que la comtesse de Shrewsbury