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Par suite du même courant d’idées, l’état de viduité était envisagé comme sacré ; les veuves constituaient un ordre ecclésiastique. La femme doit être toujours subordonnée ; quand elle n’a plus son mari pour lui obéir, elle sert l’église. La modestie des dames chrétiennes répondait à ces sévères principes, et, dans plusieurs communautés, elles ne devaient sortir que voilées. Il ne tint qu’à peu de chose que l’usage du voile recouvrant toute la figure, à la façon de l’Orient, ne devînt universel pour les femmes jeunes ou non mariées. Les montanistes regardèrent cet usage comme obligatoire ; s’il ne prévalut pas, ce fut par suite de l’opposition que provoquèrent les excès des sectaires phrygiens ou africains, et surtout par l’influence des pays grecs et latins, qui n’avaient pas besoin, pour fonder une vraie réforme des mœurs, de ce hideux signe de débilité physique et morale.

La parure, du moins, fut tout à fait interdite. La beauté est une tentation de Satan ; pourquoi ajouter à la tentation ? L’usage des bijoux, du fard, de la teinture des cheveux, des vêtemens transparens fut une offense à la pudeur. Les faux cheveux sont un péché plus grave encore ; ils égarent la bénédiction du prêtre, qui, tombant sur des cheveux morts, détachés d’une autre tête, ne sait où se poser. Les arrangemens même les plus modestes de la chevelure furent tenus pour dangereux ; saint Jérôme, partant de là, considère les cheveux des femmes comme un simple nid à vermine et recommande de les couper.

Le défaut du christianisme apparaît bien ici. Il est trop uniquement moral ; la beauté, chez lui, est tout à fait sacrifiée. Or, aux yeux d’une philosophie complète, la beauté, loin d’être un avantage superficiel, un danger, un inconvénient, est un don de Dieu, comme la vertu. Elle vaut la vertu ; la femme belle exprime aussi bien une face du but divin, une des fins de Dieu, que l’homme de génie ou la femme vertueuse. Elle le sent, et de là sa fierté. Elle sent instinctivement le trésor infini qu’elle porte en son corps ; elle sait bien que, sans esprit, sans talent, sans grande vertu, elle compte entre les premières manifestations de Dieu. Et pourquoi lui interdire de mettre en valeur le don qui lui a été fait, de sertir le diamant qui lui est échu ? La femme, en se parant, accomplit un devoir ; elle pratique un art, art exquis, en un sens le plus charmant des arts. Ne nous laissons pas égarer par le sourire que certains mots provoquent chez les gens frivoles. On décerne la palme du génie à l’artiste grec qui a su résoudre le plus délicat des problèmes, orner le corps humain, c’est-à-dire orner la perfection même, et l’on ne veut voir qu’une affaire de chiffons dans l’essai de collaborer à la plus belle œuvre de Dieu, à la beauté de la femme ! La toilette de la femme, avec tous ses raffinemens, est du grand art à sa manière.