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Cette difficulté n’a pas découragé l’un des écrivains les plus populaires de l’Allemagne, M. Gustave Freytag[1]. Il a entrepris d’écrire une série de romans historiques où l’imitation de Walter Scott est sensible, mais dans un esprit plus systématique. Le souci de l’auteur allemand est moins de raconter de poétiques légendes, de retracer des mœurs pittoresques, de distraire et d’amuser le lecteur profane que d’accomplir une œuvre toute de politique et de patriotisme. Ce cycle de romans, sous le titre général des Ancêtres, est destiné à l’éducation du sentiment national. — M. Freytag s’est demandé si l’unité allemande, enfin conquise, n’était pas le dernier terme d’une lente évolution, la dernière étape d’une longue marche dont les historiens n’ont pas toujours su démêler les sinuosités et le but caché. Les événemens lointains s’éclairent à ses yeux d’une lumière inattendue quand il les regarde du point où l’Allemagne est arrivée maintenant. Il poursuivra dans le passé la trace de cette grande idée d’unité ; il en montrera la formation et le développement parfois insensible, jamais interrompu, à travers des fictions et des épisodes qui frappent l’imagination et se gravent dans le souvenir. Chacun de ces récits retrace une des crises de l’histoire d’Allemagne, un des âges de transition et d’acheminement vers le futur empire, croisades, réforme, guerre de trente ans, organisation de l’armée prussienne au XVIIIe siècle, guerre de délivrance, et finalement révolution de 1848.

M. Albert Réville a exposé aux lecteurs de la Revue[2] le sujet des premiers romans de cette série, alors inachevée. En terminant son étude, il se demandait « s’il ne serait pas à désirer qu’en France aussi le roman se mît au service de l’histoire de la patrie pour la populariser et la rendre chère aux enfans de notre vieille Gaule, » et il recommandait aux romanciers français de suivre l’exemple de M. Freytag. M. Réville ignorait-il que M. Freytag s’est inspiré non-seulement de Walter Scott, mais d’Eugène Sue, auquel il a emprunté l’idée première et la contexture de ses romans ? L’ouvrage qui a servi de modèle aux Ancêtres, publié de 1849 à 1856, est une de ces œuvres éphémères de polémique de parti qui jaunissent dans les cabinets de lecture et ne survivent guère aux circonstances qui les ont fait naître. Les Allemands seuls lisent encore les Mystères du peuple, Histoire d’une famille de prolétaires à travers les âges, par Eugène Sue, représentant du peuple, et s’avisent d’imiter, sinon l’esprit, du moins la méthode de ce genre

  1. Le plus lu des romans de M. Freytag, Doit et Avoir, a eu vingt-cinq éditions. Il a été traduit en français. Voyez, dans la Bévue du 1er mars 1857, l’étude de M. Saint-René Taillandier sur le Roman de la vie domestique en Allemagne.
  2. Voyez la Revue du 1er décembre 1874.