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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/176

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francs, — pour l’acquisition d’une tiare, il eut beau pressurer ses sujets, créer et vendre des emplois nouveaux, à chaque instant ses. coffres étaient vides. Il recourait alors à un moyen héroïque, bien connu des princes de la renaissance : il mettait son argenterie, ses joyaux en gage, tout comme Philelphe mettait en gage ses habits. Est-il surprenant que, eu égard à des besoins si grands, il cherchât surtout à développer chez les savans et les artistes les vertus qui leur faisaient le plus défaut : la patience, le désintéressement ? Vingt anecdotes nous prouvent combien il mettait de restrictions à ses libéralités, fidèle d’ailleurs aux habitudes des mécènes de son temps, dont la magnificence était si souvent doublée de lésinerie. N’est-ce pas lui qui fit à un confrère de Philelphe, à un professeur de l’université romaine, cette réponse mémorable : « Il est vrai que je vous ai assigné un traitement, mais je ne vous en ai pas garanti le paiement ? » Ce fut lui aussi qui reçut de Théodore Gaza une leçon à laquelle les humanistes de l’Italie entière applaudirent : le savant grec lui ayant dédié la traduction d’un ouvrage d’Aristote, traduction à laquelle il avait travaillé de longues années, Sixte crut le récompenser dignement en lui faisant don de 50 ducats. Le Grec prit l’argent et le jeta dans le Tibre. Philelphe était d’humeur plus vindicative. Il déclara au pape qu’il eût à choisir entre lui et entre Miliaduce. Le trésorier ayant conservé son poste, le professeur quitta le sien et revint se fixer à Milan.

On s’est trop habitué à juger les humanistes d’après Philelphe. Certes, l’outrecuidance jointe à la servilité, la cupidité mêlée d’emportemens sans pareils, étaient des défauts communs à un grand nombre d’entre eux. Nous sommes tout prêt aussi à reconnaître qu’en remettant en honneur certaines idées surannées, ils ont introduit dans la société de leur temps un élément débilitant. Mais de quel droit généraliser ces accusations et condamner en bloc, comme l’a fait M. Voigt, dont l’acerbe critique n’épargne personne[1], un mouvement qui, à tant d’égards, a régénéré notre civilisation ? Que d’exemples honorables ne pouvons-nous opposer à celui d’un Philelphe ! Coluccio Salutato, Victoria de Feltre, Niccolo Niccoli, Giannozzo Manetti, Guarino de Vérone, Fabio Calvo de Ravenne, et bien d’autres encore, ont été de vrais sages, qui ont puisé, dans leur passion de l’antiquité, le culte de la vertu, le mépris des richesses, — épicuriens dans leurs études, stoïciens par leurs mœurs. On ne saurait trop insister sur l’influence bienfaisante provoquée

  1. Hâtons-nous d’ajouter que ce reproche est le seul que l’on puisse adresser à son très savant ouvrage, die Wiederbehbung des classischen Alterthums, dont la seconde édition vient de paraître ; Berlin, 1888-1881.