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Carrare, lorsque Rome même leur offrait tant de superbes blocs, qu’il ne s’agissait que de retirer des fondations des édifices antiques. On ne tarda pas à s’attaquer aux édifices encore debout : le Colisée fournit les matériaux nécessaires à la construction du pont Sixte ; le pont d’Horatius Coclès ceux qui étaient nécessaires à la fabrication des boulets de canon. Le temple d’Hercule, sur le forum boarium, l’arc de triomphe situé près du palais Sciarra Colonna, furent rasés au niveau du sol, et qui sait quel chef-d’œuvre antique disparut pour faire place aux bastions de la Porte du Peuple ?

Les crimes commis par Sixte contre Rome antique ne pouvaient se racheter que par les services rendus à Rome moderne. A cet égard, hâtons-nous de le proclamer, son œuvre est prodigieuse ; on reste saisi d’admiration devant l’immensité de ses efforts. Et encore n’est-ce pas à Rome seule que profite cette activité, j’allais dire cette fièvre ; toutes les villes de l’état pontifical et jusqu’à des cités lointaines, Savone, Avignon, se couvrent par ses soins ou par ceux des siens de monumens splendides ; partout il s’efforce de légitimer sa fortune par le luxe de ses fondations et d’assurer à son nom une durée éternelle.

Sans doute, l’œuvre de Sixte n’offre pas la distinction, l’élévation qui caractérisent celle de Nicolas V, d’impérissable mémoire. Il n’a pas eu, comme celui-ci, l’honneur de concevoir la réédification de Saint-Pierre, ni même, comme Paul II, celui d’avoir poursuivi ce travail gigantesque. Ce qui le distingue, c’est son esprit éminemment pratique. Il a eu la sagesse de n’aborder que des entreprises dont la réalisation ne dépassait pas les forces d’un homme, et le bonheur de régner assez longtemps pour les mener à fin. Les travaux d’édilité l’intéressent autant que les hautes créations architecturales. Il ne lui suffit pas d’avoir élevé la chapelle Sixtine, Sainte-Marie du Peuple, Sainte-Marie de la Paix, l’hospice du Saint-Esprit, d’avoir restauré et embelli vingt basiliques, il met autant d’amour-propre à reconstruire le pont du Janicule, à rétablir les aqueducs de la fontaine Trevi, à paver les rues boueuses, à ouvrir de nouvelles avenues. Grâce à lui, de grandes artères régulières remplacent ce dédale de ruelles dont certains quartiers de Rome nous offrent aujourd’hui encore le pittoresque, mais désolant tableau ; une rue relie directement le pont Saint-Ange au Vatican ; d’autres sillonnent le champ de Mars. Les efforts de ses successeurs aidant, Rome, la ville irrégulière par excellence, ne tarde pas à posséder d’immenses voies de communication dont l’alignement ne laisse rien à désirer : le Corso, la via Giulia, Ripetta, la Longara.

Dans ces entreprises, on est en droit de l’affirmer, Sixte fit preuve de plus d’ardeur que de critique, de plus de magnificence que de