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l’humanitairerie contribua, par l’imprudence ou par la malice des auteurs, à préparer l’atroce malentendu de juin 1848. C’est au moment où ces pièces étaient le plus en vogue qu’un directeur de prison disait à Jules Janin : « A-t-on joué un mauvais drame, je m’en aperçois bien vite au nombre de jeunes détenus qui m’arrivent. » Sous prétexte de nouveauté pittoresque ou de philosophie sentimentale, c’étaient les pires méprises, les plus fâcheux préjugés que les dramaturges du boulevard flattaient dans l’esprit de la foule. Mais considérez un peu la matière de ces ouvrages : vous ne les trouverez pas, comme vous pourriez croire d’après les titres, composés de peuple pur, mais bien d’un méchant alliage de peuple et de bourgeoisie. Riche et Pauvre est le nom d’un mélodrame de Souvestre : il conviendrait à presque tous au moins comme sous-titre. Dans tous l’habit infâme coudoie la blouse honnête ; dans aucun l’on ne consent à rester entre blouses. La passion politique, la haine sociale anime l’auteur, non le souci de la nature, non l’intérêt de l’art : il faut mettre en balance, avant de les mettre aux prises, le satisfait et le prolétaire ; il faut prouver que ceci vaut mieux que cela, pour justifier, disons mieux, pour glorifier tout à l’heure ceci qui tuera cela ; l’auteur n’a point d’autre pensée en tête. Dans ses Mémoires d’un vaudevilliste, le marquis de Rochefort, l’ancien rédacteur du Drapeau blanc, — le père du pamphlétaire qui gouverne aujourd’hui Belleville, — le marquis de Rochefort prend Béranger pour responsable du sang versé en 1830, et il l’apostrophe en ces termes : « Monsieur Béranger, vous deviez bien un dernier dithyrambe à ceux qui se sont fait tuer en bourrant leur fusil avec vos chansons politiques ! » À ce compte, après les journées de juin et sans attendre la commune, que dire de l’auteur des Deux Serruriers et du Chiffonnier de Paris, — M. Félix Pyat ? Non, non, malgré le mensonge du titre et de quelques costumes, rien de plus éloigné que ces déclamations scéniques du pur drame populaire, et si ce drame paraissait demain, ce serait presque une nouveauté.

Car il est temps de vous le dire, ce drame n’a pas paru ; et le sujet de cette étude, aux yeux de votre serviteur du moins, n’a qu’un défaut : c’est qu’il n’existe pas. La première mesure à prendre, pour le bon ordre littéraire, dans les théâtres où l’on pense que le drame peut renaître, serait l’établissement de deux magasins ou vestiaires distincts : celui des habits et celui des blouses ; le costumier ne laisserait pas sortir un seul habit de ses armoires à moins de tenir toutes les blouses sous clef. L’intrusion d’un habit parmi les blouses est le signe certain d’une pensée qui se moque de la nature, qui gâte et corrompt l’œuvre d’art. Soyez sûr, quand vous voyez un comte s’introduire chez une blanchisseuse dont le mari est à l’hôpital, soyez sûr que œ comte va violer cette blanchisseuse et que ce viol ne sera pas stérile. C’est justement ce qui arrive dans le drame de M. Bouvier. Pour peu que