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n’était nullement imprévu et devait entrer dans les calculs de la spéculation.

D’autre part, une lutte acharnée était engagée entre les acheteurs et les vendeurs de titres appartenant au groupe de l’Union générale. L’Union s’étant élevée de 2,000 francs à 2,500 francs du 1er au 15 octobre, les vendeurs aux abois, auraient, paraît-il, résolu de bouleverser de fond en comble la place de Paris dans l’espoir que l’Union reculerait de quelques centaines de francs au milieu du désarroi général. On disait encore que, ne pouvant faire baisser l’Union, et perdant aux cours actuels des sommes fabuleuses, quelques vendeurs avaient conçu et exécuté une combinaison machiavélique pour provoquer une débâcle sur toutes les autres valeurs et trouver dans les bénéfices obtenus de la sorte les ressources nécessaires pour le paiement de leurs différences. Quant à la combinaison machiavélique, elle aurait consisté à empêcher un certain nombre de sociétés de crédit d’employer en reports leurs capitaux disponibles au 15 octobre.

L’explication la plus rationnelle et probablement la plus exacte de la cherté extraordinaire des reports ne doit pas être cherchée si loin. C’est la situation même de la place qui a donné lieu à ces exigences exorbitantes de l’argent. L’audace de la spéculation croissait à mesure qu’elle payait plus cher les moyens de soutenir ses opérations. Le moment devait venir où le prêteur lui-même s’effraierait de l’étendue des sacrifices acceptés par l’emprunteur et refuserait net toute prolongation du crédit.

Les intermédiaires ont compris à quel péril l’optimisme outré des acheteurs exposait le marché. Épouvantés de l’énormité des engagerions maintenus à la hausse, alors que le taux du report avait depuis longtemps cessé d’être proportionnel au revenu des titres, plusieurs agens de change ont quelque peu forcé la note et encouragé la grève des capitaux. Il leur fallait une bonne raison pour avertir un certain nombre de leurs cliens qu’il y avait urgence à se liquider ou du moins à diminuer les opérations. Or quelle raison meilleure que l’argent introuvable à 20 et 30 pour 100 ?

Dès le lendemain de la liquidation, les réalisations sont donc devenues nécessaires, soit que les acheteurs à terme eussent compris l’avertissement sérieux qui venait de leur être donné, soit que les intermédiaires aient cru de voir commenter l’avertissement par des refus de prolongation de crédits.

L’élévation à 5 pour 100 du taux de l’escompte à la Banque de France ne pouvait que précipiter le mouvement de réaction. La Banque a été amenée à prendre cette mesure, non par une aggravation de la situation monétaire, mais par la nécessité d’opposer une barrière, à l’envahissement de son portefeuille commercial par ce qu’on appelle le