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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/352

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comment avoir raison de cette méchante. Le malheur, c’est que nous ne puissions avoir une heure pour causer de tout cela. Je ne puis, hélas ! écrire davantage ; mais quoi qu’il advienne de moi, tant que je respirerai, je ne cesserai de t’aimer et de te souhaiter tous les bonheurs ; je ne cesserai de haïr tes ennemis et les miens.

… Que Dieu sépare de leur âme ceux qui nous séparent ! Je sais bien comment me venger de nos ennemis ; mais c’est toi qui me les lies mains.

… Chère Matrèna, j’envoie à Votre Grâce mon salut, et j’y joins ces petits présens, un livre et un bracelet de diamans : je te prie de les accepter de bon cœur et de me garder l’on amour inviolable. Dieu nous donne de pouvoir nous réunir dans des temps plus heureux ! le baise tes lèvres de corail, tes blanches petites mains et tous les membres de ta blanche petite personne, mon aimée chérie.

… Mon tendre amour, ma charmante, ma bien-aimée Matrèna ! je souhaiterais plutôt la mort qu’un changement dans ton cœur. Souviens-toi seulement de tes paroles, souviens-toi de ton serment, souviens-toi de la main tant de fois donnée : comment tu m’as promis de m’aimer jusqu’à la mort, soit que tu fusses à moi, soit que je dusse te perdre. Souviens-toi d’une phrase de notre tendre entretien, quand tu étais chez moi, dans la grand’chambre : « Par le Dieu qui punit le mensonge, que tu m’aimes ou non, moi je ne cesserai de t’aimer et de te chérir jusqu’au dernier soupir, à la face de nos ennemis : j’en engage ma parole ! » — Je te prie instamment, mon cœur, de trouver quelque moyen de nous concerter, afin que je sache ce que je puis faire pour Votre Grâce. Je crains bien de n’avoir plus la patience de pardonner à mes ennemis ; oui, je me vengerai ; de quelle façon, tu le verras toi-même. Heureuses mes lettres, qui vont passer dans tes mains, plus heureuses que mes pauvres yeux, qui ne peuvent te contempler !

… Je vois que Votre Grâce a tout à fait oublié son ancien amour pour moi. Que ta volonté soit faite ! Tu le regretteras plus tard. Souviens-toi seulement de tes paroles, données sous serment au moment où tu sortais de la grand’chambre de pierre, alors que je t’ai offert cette bague de diamans, tout ce que je possédais de plus beau : « Quoi qu’il arrive, jamais mon amour ne changera ! »

On dit, on écrit tout cela : la vie passe, efface… Je dois être véridique : Matrèna finit par céder aux obsessions de ses parens, épousa le prétendu de leur choix et fit souche d’enfants en Ukraine. Kotchoubey, profondément atteint dans son orgueil, n’avait pas pardonné ; il accusait Mazeppa, suivant les idées du temps, d’avoir égaré la raison de sa fille avec des philtres. Affamé de vengeance, le vieux