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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/374

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que ceux d’une ville secondaire, colonie de Sybaris, et le plus beau de tous a été élevé dans le temps où Posidonie en dépendait et devait en recevoir ses artistes. Que doivent donc être ceux de la métropole ? Il y a certainement, sous les couches d’alluvion qui recouvrent Sybaris, des temples aussi gigantesques que ceux de Sélinonte, qui gisent renversés, mais sans qu’aucun débris ait pu en être distrait. Voilà ce que des fouilles poursuivies sur une grande échelle dans la vallée du Crati restitueront au jour, ce qui viendra récompenser les efforts et les dépenses de ceux qui les entreprendront ! »

La dernière des villes grecques de l’Italie dont je veux dire un mot est Crotone, la rivale heureuse de Sybaris. Quoiqu’elle ait été puissante et glorieuse, le souvenir de Pythagore est à peu près le seul qu’elle nous rappelle aujourd’hui. Pythagore est resté pour nous un des plus grands noms de l’antiquité ; par malheur, ce n’est guère qu’un nom. D’ordinaire, ces grands personnages du passé nous sont inconnus parce qu’on ne nous a pas assez parlé d’eux ; ce qui fait au contraire qu’il est difficile de connaître celui-ci, c’est qu’on en a trop parlé. Sa gloire survécut à la catastrophe qui dispersa son école ; dans les siècles qui suivirent, elle alla toujours en grandissant. Comme on connaissait peu sa vie, on lui fit, selon l’usage, une existence imaginaire qu’on embellit de toutes sortes de récits merveilleux. Quand le paganisme fut menacé par une religion nouvelle, il comprit qu’il ne pouvait se défendre qu’en imitant un peu sa rivale ; il lui fallait aussi des saints qu’il pût proposer à la vénération de ses fidèles. Par malheur, il n’en avait guère, et, pour s’en procurer quelques-uns, il dut les emprunter aux sciences, à la philosophie, à l’histoire : c’étaient des sages auxquels on prêta quelques aventures miraculeuses pour en faire des saints. Pythagore était parfaitement propre à jouer ce rôle. On savait que sa philosophie avait un caractère religieux très prononcé ; il croyait à un Dieu unique et trouvait moyen d’accommoder cette croyance avec le culte des mille, divinités du polythéisme ; il était très préoccupé des destinées de l’âme après la vie ; il pratiquait une morale pure, élevée, austère ; il avait exercé un grand pouvoir sur les hommes et les avait dominés par l’ascendant de la vertu. C’était un homme enfin dont l’ancien monde pouvait être fier et qui faisait bonne figure même en face de la religion nouvelle. On n’eut pas beaucoup à faire pour qu’il devînt un personnage tout à fait extraordinaire, un bon démon, un héros, un envoyé des dieux, une incarnation d’Apollon. Les prodiges qu’on lui prête ressemblent beaucoup à ceux dont les saints de l’église chrétienne sont gratifiés dans leur légende : il apaise les flots, il calme les vents, il détourne la grêle, il guérit les malades, il annonce l’avenir, il lit dans la pensée de ses