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Les hautes et importantes doctrines que nous venons de résumer referment deux thèses inséparables qui se prêtent un mutuel appui, l’une sur l’esthétique de la nature, l’autre sur l’esthétique des mœurs. Nous n’examinerons aujourd’hui que la première, qui est d’ailleurs la prémisse nécessaire de la seconde. Cherchons donc ce qu’il y a d’intentionnel et d’objectif, aux yeux d’une science rigoureuse, dans cette beauté que l’art de la nature semble poursuivre et nous inviter à poursuivre nous-mêmes par nos actions.


I

Les partisans de la finalité esthétique essaient d’abord de la montrer partout dans le monde ; mais la science moderne, comme noue le verrons, les oblige bientôt à la resserrer en un plus étroit espace. La voyant chassée d’un domaine, ils la replacent aussitôt dans un autre : la finalité en vue du beau et du bien recule successivement de la physique à la métaphysique, où on s’efforce de lui trouver un dernier retranchement. L’argumentation que nous avons à examiner parcourt ainsi trois degrés divers. En premier lieu, selon les partisans des causes finales, le mécanisme n’explique pas tout dans la nature au point de vue physique ; en second lieu, il n’explique pas tout au point de vue métaphysique ; en troisième lieu, il a besoin lui-même d’être expliqué par des considérations d’ordre ou de beauté, et ses lois, d’une nécessité en apparence brutale, trouvent dans l’esthétique leur dernière et radicale raison. Tels sont, dans leur ordre le plus systématique, les divers centres de perspective auxquels nous devons nous placer tour à tour pour voir si cette nouvelle dialectique, plus heureuse que celle de Platon, nous amènera enfin devant « la beauté suprême, » dernier terme de la science et de la morale. C’est, en effet, à l’idée de Dieu que les nouveaux platoniciens et péripatéticiens suspendent la nature et l’humanité ; leur philosophie entière n’est qu’un développement de la preuve antique, et, comme dit Kant, « vénérable, » par les causes finales, en opposition à l’esprit contemporain qui fait de la perfection le terme idéal des choses et non leur principe. C’est dire que nous sommes en présence des problèmes les plus fondamentaux et les plus importans de la philosophie, qui sont aussi les plus difficiles et les plus abstraits.

Examinons d’abord s’il est vrai que, même au point de vue purement physique, le mécanisme ne puisse expliquer l’art de la nature et si la science moderne nous révèle de plus en plus, surtout dans les êtres vivans, l’empire de la finalité. M. Ravaisson, quand il publia, il y a treize ans, son admirable Rapport sur la philosophie en France au XIXe siècle, croyait voir les savans et les philosophes de notre époque