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l’ignorait ; il en était de même du comte Adlerberg et du prince Gagarine. De là une méfiance inouïe entre tous ceux qui approchaient le souverain. La discrétion, le silence, étaient les conditions premières de la faveur. L’empereur tenait chacun à distance et ne permettait à aucune influence de se produire. Autour des diplomates étrangers, le cordon sanitaire était rigoureusement tendu ; il était enguirlandé, mais solide. On ne leur refusait ni prévenances ni égards ; on les hantait volontiers, mais jamais la familiarité n’engendrait la confiance. Dans ces conditions, il était difficile au baron de Talleyrand, bien qu’il eût de l’esprit de sa race, d’exercer grande action sur les décisions de la cour de Pétersbourg ni d’être renseigné exactement sur ses tendances secrètes. Il n’avait d’autre guide que son instinct, d’autre pierre de touche que son tact. « Nous sommes réduits, mes collègues et moi, écrivait-il, à faire de la pauvre diplomatie, car systématiquement la tâche nous est rendue ici plus difficile que partout ailleurs. À moins d’un hasard, nous devons la plupart du temps nous borner à observer la marche des événemens et à les commenter de notre mieux. C’est un rôle, ajoutait-il finement, dont la modestie m’a pesé plus d’une fois. »

M. de Bismarck avait introduit à Berlin à peu près le même système de réserve et de mystère. Il tenait, lui aussi, le corps diplomatique à distance. Il n’était accessible qu’à son heure, lorsqu’il avait intérêt à parler, et à ce moment, il n’éprouvait le besoin de s’expliquer avec personne. Il faisait ses comptes, qui ne se soldaient pas comme il l’espérait peut-être. Il avait pu croire que, sous le danger de la guerre, l’opposition en France se retournerait violemment contre l’empereur, et il voyait l’empereur soutenu par l’opinion publique, qui semblait se rallier autour de lui. Ses états-majors avaient spéculé sur notre désorganisation militaire, et il s’était trouvé un véritable homme de guerre qui s’appliquait avec une énergie indomptable à organiser la défense. Les partis hostiles se remuaient, au contraire, en Allemagne ; une nouvelle guerre semblait répugner aux classes moyennes. Le Sud manifestait hautement son mauvais vouloir ; les gouvernemens, harcelés de toutes parts, réclamaient des garanties et ne cessaient d’exprimer des craintes au sujet de l’attitude éventuelle du cabinet de Vienne. L’Autriche était la grosse préoccupation ; elle avait encore de nombreux partisans en Allemagne ; elle en avait même en Prusse et jusque dans les entoure du roi. Les journaux officieux la choyaient ; ils faisaient appel à la confraternité du passé, ils invoquaient aussi les souvenirs glorieux de la sainte-alliance. Leur langage était édifiant ; il semblait, à les entendre, que l’Autriche présidait toujours la Confédération germanique, que la Prusse n’avait ni prémédité ni poursuivi sa ruine et qu’aucun de ses anciens confédérés ne l’avait trahie. La