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en Allemagne, il ne passa pas inaperçu en Russie. La politique française put en constater aussitôt l’effet, à Berlin comme à Pétersbourg.

On reparlait, simultanément du voyage, des deux souverains à Paris. L’empereur Alexandre faisait savoir à M. de Talleyrand qu’il y songeait toujours, et le prince de Hohenzollern disait, à Baden à un chambellan de l’empereur Napoléon que le roi Guillaume n’avait pas renoncé à l’idée de visiter l’exposition universelle. Le thermomètre avait subi une brusque oscillation ; il marquait le dégel à Berlin et la chaleur à Saint-Pétersbourg. Le comte de Bismarck ne rejetait plus d’une manière absolue l’idée d’une conférence, et le prince Gortchakof redevenait expansif. Il reprenait son langage imagé ; il assurait que sa foi n’était engagée d’aucun côté, qu’il avait su résister aux instances du prince de Reuss, qui le pressait de se prononcer ; qu’enfin mot, ses sentimens sur la question du Luxembourg étaient immaculés, que nous nous trouvions vis-à-vis d’une feuille de papier absolument blanche. Il reconnaissait, en écoutant la lecture des communications que. M. de Talleyrand était chargé de lui faire, qu’il était difficile de témoigner des sentimens plus pacifiques en termes plus courtois, et que, s’il ne craignait qu’un compliment du vice-chancelier à M. de Moustier ne fût déplacé, il le chargerait de le lui transmettre. « Quel dommage, disait-il, que je ne me trouve pas avec M. de Moustier à Constantinople ! nous réglerions les affaires d’Orient en moins de quinze jours. » — « Mon unique ambition est de voir de près le plus grand homme d’état de l’Europe, » écrivait Frédéric II au cardinal de Fleury, lorsqu’il méditait l’invasion de la Silésie.

La glace était rompue ; le prince Gortchakof sortait de son étrange torpeur, la lumière se faisait dans son esprit. Il reconnaissait après trois semaines de méditations que le droit de garnison qu’invoquait la Prusse était décidément contestable ; il se plaisait à constater et à admirer à modération de la France. Il annonçait que l’empereur Alexandre allait s’entremettre activement, que déjà il avait adressé des lettres instantes à son oncle, et il se flattait que M. de Bismarck, malgré sa nervosité, finirait par se soumettre aux conseils de la raison. Mais le prince Gortchakof entendait ne se mettre à la remorque de personne, travailler à l’œuvre de la paix pour son compte, il se réservait la peine et l’honneur. Il entendait surtout ne pas marcher sur les brisées de M. de Beust ; il lui abandonnait, disait-il, toujours enclin à laisser percer ses rancunes, le soin et la satisfaction de faire accepter à Berlin les projets dont son ambassadeur le comte de Reverdera ne cessait de l’entretenir. Que s’était-il passé pour opérer un revirement si chaleureux, si inespéré ? Avait-on appris à la cour de Saint-Pétersbourg que la situation s’était