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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/474

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une affaire des plus sérieuses en laissant ignorer aux chambres ce qu’il méditait ou en n’avouant ses projets que par degrés ? M. le président du conseil a une réponse toute prête, la réponse de l’homme de gouvernement : il fait avec autorité la leçon aux radicaux ! « Il y a des momens dans les affaires délicates et surtout dans les affaires extérieures, dit-il, où le silence est chose patriotique. » Un instant après il reprend : « Votre patriotisme devrait vous imposer le silence. » Puis enfin il répète plus que jamais, non sans une certaine naïveté : « Il y a des choses qu’on ne peut faire en politique étrangère qu’à la condition de ne pas les crier sur les toits. Et il faudra bien, si la France républicaine veut avoir une politique extérieure, que le silence patriotique qui, vous le savez tous, fut gardé par tout le monde dans la chambre à ce moment-là, — au moment où s’engageait l’expédition, — soit la règle dans tous les cas analogues… » Fort bien ! Voilà à peu près des idées que pourraient accepter ceux qui ont pour règle d’allier au libéralisme le respect des habitudes et des traditions de gouvernement ; mais pour parler le langage que le chef du dernier cabinet parlait l’autre jour en s’adressant à ses adversaires, qu’aurait dit M. Jules Ferry lui-même si, dans d’autres circonstances on lui avait fait cette observation, si on lui avait dit qu’il fallait savoir se taire patriotiquement et ne rien demander ? Il se serait probablement révolté contre cette tyrannie, contre ce système de réticences de nature à abuser le pays, à égarer la représentation nationale. Aujourd’hui, il est au gouvernement, et ce droit du silence qu’il aurait refusé à d’autres, même peut-être sous la monarchie constitutionnelle représentée par des ministres responsables, il le revendique pour lui. Il en vient à reconnaître qu’il y a des nécessités invariables de gouvernement sous la république comme sous la monarchie. Soit ! Malheureusement, M. Jules Ferry, est un converti de récente date ; il a les excès ou les ardeurs du néophyte, et il est bien certain que de simples libéraux, sans être des radicaux, ne prendraient pas aussi aisément leur parti du « silence patriotique, » qu’ils ne feraient pas aussi bon marché des droits du parlement, qu’ils auraient notamment de la peine à admettre la possibilité de puiser discrétionnairement dans le budget pour subvenir à toutes les entreprises. Car enfin il faut en venir là. Quand on fait la guerre sans la déclarer, il ne faut pas moins la payer, et quand on a évité de demander des crédits suffisans pour ne pas se départir du « silence patriotique, » il faut bien prendre l’argent là où il est.

Oh ! assurément sur ce point encore M. Jules Ferry a des théories toutes prêtes pour pallier ou pour expliquer ce que le ministère a fait, et ce n’est pas la partie la moins curieuse de ses discours. Le chef du dernier cabinet a une série d’euphémismes pour caractériser les opérations financières auxquelles il a fallu recourir pour suffire à tout avec les premiers crédits extraordinaires, qui n’étaient que de 17 millions.