Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/691

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saxe-Weimar, avait dit : « Le meilleur gouvernement est celui qui apprend aux gens à se gouverner eux-mêmes. » Aujourd’hui M. de Bismarck veut que le gouvernement balaie pour tout le monde, et c’est à quoi les libéraux ne peuvent entendre. « La société moderne, lisons-nous dans une remarquable et incisive brochure récemment publiée, n’accepte la dictature que comme remède à l’anarchie et ne la supporte que pour un temps, jusqu’à ce qu’elle se sente assez rassurée pour en secouer de nouveau la dégradante tutelle[1]. »

Quand la loi sur les assurances ouvrières fut discutée par le précédent Reichstag, un des membres les plus distingués de la députation alsacienne, M. Grad, qui, en matière d’expériences sociales, a joint la pratique à la théorie, proposa que les caisses d’assurances, au lieu d’être gérées par l’état, fussent administrées dans chaque district par les entrepreneurs d’industries, réunis en associations de secours mutuels, et il fit adopter son amendement. C’était détruire toute l’économie du projet de loi présenté par le chancelier et le dépouiller de tout ce qui en fait pour lui la beauté et le charme. Il désire que les ouvriers s’assurent contre les accidens, mais il désire surtout que l’état soit l’assureur, parce qu’à son avis, l’état ne saurait trop accroître sa compétence. N’a-t-il pas déclaré au conseil économique de l’empire qu’il était fâcheux que les communes contribuassent à l’entretien de leurs pauvres, de leur police et de leurs écoles, que c’était l’affaire du gouvernement ? Voilà encore une réforme qui s’acclimatera difficilement en Allemagne. Nos voisins de l’est laissent volontiers à un grand homme qui possède la confiance de leur souverain le soin de régler à sa guise les grandes affaires, mais ils entendent se réserver les petites, et un bureaucrate qui prétendrait leur épargner la peine de saler eux-mêmes leur pot-au-feu les dégoûterait à jamais de leur marmite. Grâce à la forte constitution de la commune dans tous les pays d’outre-Rhin, il y a dans le plus royaliste des Allemands un républicain têtu avec lequel M. de Bismarck lui-même doit compter.

Aux économistes, aux libéraux qui ont réprouvé et combattu ses projets socialistes, se sont joints les nombreux Allemands, qui, fidèles sujets de l’empereur Guillaume, ne laissent pas d’attacher beaucoup d’importance aux droits que possèdent encore les états confédérés et tiennent à sauvegarder le peu d’autonomie qui leur reste. Quelques-uns d’entre eux, qui approuvent en principe l’assurance obligatoire, désirent que chaque roi, que chaque grand-duc se charge d’assurer ses sujets. Mais M. de Bismarck disait un jour « qu’il était entré dans le ministère du commerce comme Ulysse parmi les prétendans, afin de restituer la maison à son légitime propriétaire, qui est

  1. La Révision de la constitution, par Edmond Schérer ; Paris, Librairie nouvelle.