l’empire. » Il arrive souvent que dans les lois qu’il propose l’essentiel est l’accessoire et que l’accessoire est l’essentiel. Le jour où l’empire allemand sera devenu le tuteur du pauvre homme, qui oserait lui refuser les fonds nécessaires pour qu’il puisse s’acquitter de son nouvel emploi et le droit de remplir ses caisses à l’aide de nouveaux impôts ?
M. de Bismarck soupire après le monopole du tabac comme un amant après l’heure du berger ; il a pensé vaincre les résistances qu’on opposait à son désir en promettant que le monopole du tabac serait « le patrimoine des déshérités. » L’empire est pauvre et son existence est précaire, l’empire en est réduit à demander au royaume de Wurtemberg comme à la ville de Hambourg et à la principauté de Schwarzbourg-Rudolstadt des contributions matriculaires et les ressources nécessaires à sa subsistance. Sa dignité ne peut être sauvée et son avenir assuré qu’à la condition de posséder des excédens, dont il usera pour distribuer des aumônes, pour secourir les états dans leurs besoins. Tel un millionnaire entouré de parens pauvres, à qui sa charité vient en aide ; tel un patron bienfaisant, plein de bonnes œuvres, dont l’orgueil est chatouillé par les soins, par les intrigues, par les empressemens de ses assistés. Quand M. de Bismarck traite ce sujet, son esprit s’exalte, il devient poète, il pindarise. Dans sa pensée, l’empire allemand doit devenir une grande entreprise d’assistance publique, et César ne sera vraiment César que quand il verra les rois, les princes, les grands et les petits-ducs, suivis du cortège de toutes les corporations ouvrières, s’entasser confusément dans son antichambre pour y mendier la sportule. Nous ne doutons pas qu’il ne veuille beaucoup de bien au pauvre homme, mais il faut que le pauvre homme serve à quelque chose et comprenne que sa mission est d’enrichir l’empire ; leurs destinées sont étroitement unies, le bonheur de l’un fera la félicité de l’autre, et il se pourrait bien que la politique jouât un grand rôle dans les combinaisons de certains philanthropes.
Luther reçut un jour dans sa cellule la visite d’un moine qui avait l’encolure d’un saint homme, des manières fort engageantes, beaucoup d’onction dans le langage. Il était venu, disait-il, chercher auprès de lui l’éclaircissement de quelques difficultés qui le tourmentaient. Ce moine avait approfondi la dogmatique et l’exégèse. Il savait l’Écriture sur le bout du doigt et citait les pères avec force traits de science. Luther, qui se travaillait l’esprit pour lui répondre, s’avisa tout à coup que les mains de cet habile théologien ressemblaient assez à des griffes d’oiseau, et, saisi d’un frisson, il s’écria : Ne serais-tu point celui dont il est écrit que la semence de la femme écrasera la tête du serpent ? » À ces mots, il lui montra la porte, et le diable se retira