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La réponse du ministre ne compromettait rien, elle ménageait notre dignité, elle était dans son ensemble modérée. Les politiques se servent des passions, mais ils ne les subissent pas.

M. de Bismarck prévoyait la guerre, mais il ne se souciait pas de la provoquer. Il réservait ce soin à la France. Il savait, par les dépêches de son ambassadeur à Paris, que l’empereur était exaspéré, que sa patience était mise à la plus rude épreuve et qu’après tant de mécomptes, sa dignité ne lui permettait pas de reculer. La Prusse jouait à coup sûr, elle devait gagner, quelles que fussent les éventualités. Si l’empereur relevait le gant, la France désarmée était perdue. S’il reculait, il était atteint dans son prestige, il se reconnaissait impuissant à la face de l’Europe, les destinées de l’Allemagne s’accomplissaient sans coup férir ; la prépondérance européenne lui était acquise. La modération était de l’habileté ; elle ne devait pas faire défaut, pour le moment du moins, au premier ministre du roi Guillaume.

Il avait donné satisfaction aux passions nationales, il lui restait à en atténuer l’effet, non pas en Allemagne, mais à Paris. Le comte de Goltz reçut l’ordre de voir l’empereur, de lui remettre la réponse du roi à l’invitation qu’il lui avait adressée pour l’exposition universelle. Il devait lui exposer l’état des choses à Berlin, protester des bonnes dispositions du ministre, dire qu’il ne méconnaissait pas ses engagemens et qu’il espérait qu’après l’ajournement du parlement, les passions une fois calmées, rien ne s’opposerait à ce qu’on reprît les négociations.

L’homme et le politique sont parfois en lutte. Les explications que M. de Goltz était chargé de donner à l’empereur semblaient témoigner d’une conscience troublée et quelque peu repentante.

L’empereur était indigné. Son parti était pris. Fort de son bon droit, il était résolu à ne pas reculer. Il songeait à la guerre. Il conférait avec le général Trochu, élaborait des plans avec le général Lebœuf, qui restait en permanence aux Tuileries. Le maréchal Niel, qui avait pris tardivement la direction du ministère de la guerre, s’efforçait de regagner le temps si tristement perdu par le maréchal Randon depuis le mois d’août. Il hâtait la fabrication des fusils Chassepot, achetait des chevaux et reconstituait le matériel engouffré au Mexique. L’armée d’Afrique recevait l’ordre de se concentrer sur Bône et Alger ; les divisions du Midi devaient se porter vers la ligne de Lyon ; la guerre se préparait, elle paraissait inévitable. M. de Moustier la prévoyait dans les dépêches qu’il adressait à M. Benedetti. Les renseignemens qu’il recevait lui prouvaient qu’elle était préméditée en Allemagne.

Voici ce qu’on lui écrivait de Francfort :