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« Tout semble indiquer que le parti militaire l’emporte dans les conseils du roi Guillaume. Il n’attendrait qu’un prétexte diplomatique pour nous surprendre, nous accabler par le nombre et nous enlever au dehors, dès le début, notre prestige moral par la profanation de notre sol. Il se flatte qu’une invasion réveillerait à l’intérieur d’accablans souvenirs et permettrait aux agens allemands à Paris, mêlés aux ouvriers des faubourgs, de réaliser l’œuvre que méditeraient les partis hostiles. Toutes les mesures seraient prises, ayant été étudiées et préparées de longue main pour pouvoir ébranler au premier signal télégraphique une armée de près de six cent mille hommes. Dirigée contre l’ennemi traditionnel, animée du souffle patriotique et surexcitée par les appétitions qui se sont manifestées dans la dernière guerre, elle aurait, on le croit du moins, une supériorité incontestable sur l’armée française, prise au dépourvu avec un armement mixte, incomplet et des cadres désorganisés. Le mouvement serait d’ailleurs si habilement combiné, car l’attaque se produirait sur deux points à la fois, que la question serait résolue avant que notre flotte fût en état de pénétrer dans la Baltique pour y frapper les coups qu’on appréhende de ce côté et avant que nos alliances projetées à Copenhague et à Stockholm eussent le temps de se conclure.

« Il est permis de se demander si, pour déjouer ces combinaisons il ne serait pas habile de pousser la modération jusque dans ses limites les plus extrêmes et s’il ne conviendrait pas, en s’appuyant sur la grande pensée qui a présidé à l’exposition universelle et sur le jugement des puissances, de rester impassible devant des excitations calculées. Ce serait isoler la Prusse moralement et la mettre en rébellion contre le sentiment de l’Europe. Personne ne s’y méprendrait. Il n’est pas un homme sensé à l’étranger qui interprétât une pareille résolution solennellement émise dans le sens d’une faiblesse. Ce serait rejeter M. de Bismarck dans ses embarras intérieurs et lui enlever le moyen sur lequel il spécule pour unifier l’Allemagne, aujourd’hui encore si divisée. Le gouvernement de l’empereur prouverait en tout cas qu’un grand pays comme la France choisit son heure et qu’il n’expose pas les forces dont il est le gardien aux convenances d’un homme d’état téméraire. »

M. de Moustier ne s’était pas endormi. Dès les premières alertes, il avait pressenti les dispositions des puissances signataires du traité de 1839. Il avait recueilli à Londres et à Vienne des assurances de nature à le satisfaire.

Ni lord Stanley, ni le comte de Beust ne voyaient d’inconvénient à la cession du Luxembourg ; ils croyaient qu’un dédommagement nous était dû, et pour nous l’assurer, ils n’hésitaient pas à nous offrir