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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/930

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encore trois autres donnés pour le repos éternel de l’âme du mort. L’un a lieu quarante jours après l’enterrement, le second six mois après, et le troisième à la fin de l’année. Tout le village est invité à ces agapes funèbres. À chaque bout de l’an, on donne encore à manger aux personnes qui sont dans l’église, puis, la cérémonie terminée, les femmes vont porter des secours en aumônes ou vêtemens aux maisons pauvres. En signe de deuil, dans les premiers jours qui suivent la perte d’un père, les fils sortent la tête découverte. Les femmes et les filles laissent flotter leurs cheveux sur les épaules, quelques-unes retournent leurs habits. Longtemps à haute voix, elles expriment en chantant leur douleur, et quelques-unes de ces improvisations faites en vers harmonieux ne manquent pas de charme.

Lorsqu’une jeune fille serbe doit se marier, les invités, à cheval, parlent de la maison de l’époux ; ils vont, au son d’une musique bruyante, tirant des coups de pistolets et poussant des clameurs joyeuses, chercher la fiancée qu’ils trouvent entourée de ses parens et des habitans de son village. Ils restent pendant deux jours auprès d’elle, deux jours passés en réjouissances, après quoi on revient chez le fiancé, où se célèbre définitivement le mariage. Là, encore, la fête dure trois jours.

De tous les sentimens qui honorent le caractère des Serbes, celui de l’amitié est le plus vif : il marche de pair avec l’amour de la patrie. Un jeune Serbe a toujours un camarade, une sorte de frère d’adoption pour lequel il saura se sacrifier jusqu’à la mort si les circonstances l’exigent. Les femmes ont aussi leurs sœurs d’adoption. Ces couples s’appellent des probatimes ou « frères et sœurs en Dieu. » On se prépare à ces fiançailles de l’amitié par un noviciat d’une année afin que l’engagement d’être l’un à l’autre ne soit pas donné à la légère. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que ces ardentes amitiés écartent, lorsqu’elles ont lieu entre jeunes gens et jeunes filles, toute idée de mariage. Personne n’intervient dans le choix qui se fait d’un frère ou d’une sœur d’adoption. Un jour, un jeune voïvode, Milosch Obilich, apprit avec horreur qu’il était soupçonné d’être en rapports secrets avec les Turcs qui s’avançaient vers la Serbie pour l’envahir. Aussitôt Obilich appelle auprès de lui ses deux probatimes. Il leur fait part de l’odieux soupçon qui pèse sur lui et les conjure de faire le sacrifice de leurs vies pour prouver l’innocence de leur frère d’adoption. Les probatimes acceptent sans aucune hésitation et tous les trois pénètrent sous la tente du sultan qu’une armée entoure. Le sultan est tué, et les trois Serbes, comme on le suppose bien, périssent à leur tour massacrés. Ceci se passait au XVe siècle. Presque de nos jours, Milosch, le prince serbe, s’était fait, — probablement plutôt par politique que par