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navires d’une autre nation en pleine mer, sous quelque prétexte que ce soit, au-delà des limites de la juridiction territoriale. » Lorsqu’un nouveau conflit s’éleva en 1858, parce que les croiseurs anglais avaient recommencé à visiter des navires américains, les avocats de la couronne, consultés, donnèrent tort à leur gouvernement; celui-ci fut obligé de reconnaître, à la chambre haute, par l’organe de lord Lyndhurst, que la Grande-Bretagne avait abandonné non un droit, mais « l’usurpation d’un droit, » et qu’aucune nation n’a le pouvoir d’entraver la navigation d’une autre. Le droit de visite en temps de paix, quoiqu’il figure encore dans quelques traités et que Bluntschli s’attarde à le défendre, est donc, en principe, condamné par ses propres inventeurs; il disparaît, s’il n’a disparu, et succombe devant deux grands principes du droit international moderne : la liberté des mers, l’indépendance réciproque des peuples.

Voilà, sans doute, bien des progrès accomplis ; mais un progrès encore plus décisif est à faire. Ce qui retarde jusqu’à présent le développement du droit public maritime, c’est une grande inconséquence. La propriété privée, respectée sur terre, ne l’est pas sur mer. On convient que, sur mer comme sur terre, la guerre est dirigée contre l’état, non contre les particuliers ; cependant les puissances maritimes n’ont pas su, jusqu’à ce jour, se concerter pour ôter à la marine militaire le droit de saisir et de confisquer les bâtimens de commerce et les marchandises appartenant aux sujets de l’état ennemi. Quand le congrès de Paris supprima la course, les États-Unis demandèrent inutilement qu’on allât jusqu’au bout, sachant d’ailleurs que leur proposition serait mal accueillie par l’Angleterre, et comme elle fut, en effet, repoussée, ils colorèrent ainsi leur refus d’adhérer à la déclaration de 1856. Il est vrai que, depuis cette époque, l’histoire diplomatique témoigne de quelques efforts et peut enregistrer certains résultats. Par exemple, la Prusse, l’Italie et l’Autriche ont, pendant la guerre de 1866, renoncé à leur droit d’amener et de saisir les navires marchands. Mais nous devons avouer que la France, pendant la guerre de 1870, refusa formellement de suivre cet exemple. En 1877, le sous-secrétaire d’état Bourke se fit, à la chambre des communes, avec une véhémence singulière, l’apologiste de l’ancienne pratique, allant jusqu’à dire à ce propos que « que la règle qu’on trace pour déterminer les rapports réciproques des belligérans ne vaut pas le papier sur lequel elle est écrite. » En effet, si toute notion du juste s’efface entre belligérans par le seul fait de la guerre, la propriété privée n’est pas inviolable sur mer. Mais cette proposition de l’orateur anglais n’est qu’un paradoxe sonore, démenti par l’histoire entière du genre humain. Les puissances maritimes arriveront nécessairement