Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à reconnaître qu’une marchandise, non saisissable avant le chargement ou après le déchargement, ne peut pas être légitimement confisquée par cela seul qu’elle voyage sur mer et que, si la maison d’un particulier reste inviolable, son navire l’est au même titre. C’est un vœu qu’il faut former, c’est un but qu’il faut atteindre.

Il est un dernier but auquel peuvent aspirer aujourd’hui tous les peuples civilisés, et que nous tenons, en terminant, à leur proposer. Il est bon d’atténuer les maux de la guerre, maritime ou continentale; mais il vaut mieux prévenir la guerre elle-même quand elle peut être prévenue, et c’est pourquoi la science du droit international pousse au développement des arbitrages internationaux : il n’y a là rien de chimérique et ce n’est pas rêver, à la suite de quelques utopistes, l’établissement de la paix universelle. Il y a beaucoup de conflits qu’on peut ne pas résoudre par la force, et cela suffit pour que les publicistes, les hommes politiques persuadent aux états de recourir le plus souvent possible à cette procédure amiable. Tel était le vœu qu’émit en 1856 le congrès de Paris. C’est ainsi qu’une conférence internationale termina, le 20 janvier 1869, un conflit entre la Turquie et la Grèce, qu’un tribunal arbitral régla en 1872 l’affaire de l’Alabama, qu’un autre tribunal arbitral termina une querelle entre les États-Unis et le Mexique, que l’affaire du golfe de San-Juan fut soumise par les États-Unis et la Grande-Bretagne à l’empereur Guillaume, que M. Thiers, étant président de la république française, fut appelé à statuer sur un conflit entre la Grande-Bretagne et le Portugal, qu’un autre différend entre la France et la république de Nicaragua fut l’an dernier déféré à notre cour de cassation. Si la pratique des arbitrages continue à s’enraciner dans les mœurs internationales, on arrivera d’abord à reconnaître unanimement (on commence à le reconnaître) qu’il est absurde de trancher certaines sortes de dissentimens par un appel aux armes, et peut-être finira-t-on par s’avouer qu’il est possible de résoudre autrement des conflits plus compliqués ou plus graves. Ce serait peut-être un moyen d’acheminer l’Europe vers l’établissement de cette commission internationale appelée à donner un avis impartial sur les questions litigieuses ou même, le cas échéant, à constituer ce tribunal arbitral dont MM. de Parieu, Lorimer, Bluntschli ont, dans ces derniers temps, proposé la formation. En tout cas, le droit international entrerait ainsi dans une nouvelle phase. La guerre ne serait pas supprimée, mais elle serait évitée quand elle ne serait pas inévitable. Ce serait, de tous les progrès, le plus incontestable et le plus utile à l’humanité.


ARTHUR DESJARDINS.