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partielle. Il a tiré de ce souvenir de très bons conseils à l’adresse des jeunes militaires pour les engager à ne pas croire trop tôt les parties perdues. Mais il n’en est pas moins vrai que sa retraite, bien que peut-être nécessaire, fut opérée avec une hâte qui lui donna tout l’air d’une fuite. Le roi étant beaucoup mieux monté que le reste de sa cavalerie, son cheval prit le devant sur tous les autres dans cette course en arrière, et il n’avait avec lui qu’une faible escorte quand il arriva devant la ville d’Oppeln, où il comptait se mettre en sûreté.

Mais, pour comble de malheur, cette petite ville avait été occupée à son insu, le matin, par un parti d’Autrichiens, de sorte qu’il fallut tourner bride au plus vite, sous peine d’être reconnu et pris. La nuit tombant sur ces entrefaites, la troupe fugitive dut se mettre à l’abri dans un moulin, où le roi passa, dans une angoisse un peu trop visible, ces longues heures d’attente. On prétendit même qu’on l’avait entendu invoquer la miséricorde de Dieu, ce qui n’était pas chez lui une médiocre preuve d’émotion. Ce fut là que, vers l’aube du jour suivant, un messager du maréchal Schwerin le retrouva pour lui annoncer sa victoire et le rendre à son armée, tout couvert, disaient les mauvais plaisans, de gloire et de farine.

Parmi les nombreux incidens de la journée qui prêtaient à rire, un des plus comiques et dont on s’amusait le plus, était la mésaventure de l’un des savans de l’intimité royale, le mathématicien Maupertuis. L’honnête géomètre, se souvenant qu’il avait servi dans les dragons et voulant à la fois faire sa cour et montre de sa valeur, avait tenu à accompagner son maître sur le champ de bataille. Mais on n’avait pu lui donner qu’une monture très médiocre (ce n’était pourtant pas un âne, comme l’a méchamment raconté Voltaire), de sorte que, quand il s’agit de s’en aller en vitesse, il fut, dès le premier temps de galop, laissé en arrière et parfaitement oublié par tous ses compagnons, y compris et surtout le roi, qui ne s’enquit absolument pas de son sort. Des hussards autrichiens l’arrêtèrent et le dépouillèrent de ses meilleurs vêtemens ; il fut conduit à Vienne dans ce triste appareil. Là seulement il fut reconnu et rhabillé aux frais de la reine de Hongrie. Quelques jours après il fut renvoyé à Berlin, pour être échangé avec le cardinal 41nzendorf que Frédéric remit en liberté, en disant que c’était tout profit de changer un cardinal contre un géomètre.

La raillerie allait donc son train et diminuait l’effet de la victoire. C’est ce que sentait Frédéric lui-même quand il écrivait à Voltaire avec une modestie d’assez bon goût : « On dit que nous avons battu les Autrichiens et je suis porté à le croire. » A la vérité, la raillerie est une consolation que les vaincus se donnent trop souvent