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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/737

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des divinités locales et multiples, des grandes imaginations sur la vie d’outre-tombe. Quand un Israélite parcourait l’Egypte, visitait les syringes de Thèbes, les memnonia, les hypogées du Sérapéum, ces maisons des morts si supérieures à celles des vivans, le sentiment qu’il éprouvait était celui de la pitié qu’inspire la vue de l’absurde. Dieu lui apparaissait alors grand, unique, se riant des hommes et de leurs folies. La première de ces folies était à ses yeux la prétention à l’immortalité. « Dieu seul dure[1], » telle a toujours été la base fondamentale de la théologie sémitique monothéiste. L’homme est un être passager, et le pire acte d’orgueil de sa part serait de s’égaler à Dieu, en s’attribuant l’éternité. Le Pharaon qui se bâtit des pyramides en vue d’une existence indéfinie, loin d’être considéré par le sage Israélite comme un homme religieux, lui faisait l’effet d’un impie. La croyance à l’immortalité, loin de lui sembler pieuse, lui paraissait une injure à Dieu et au bon sens. Le peuple, comme tous les êtres instinctifs de tous les temps, croyait aux refaïm, aux revenans; il y avait des sorciers et des sorcières qui prétendaient évoquer les ombres et les faire parler. Si les sages d’Israël eussent laissé faire le peuple, celui-ci, avec le scheol et les refaïm, se fut créé un enfer et une mythologie comme tous les autres peuples. Mais les sages furent assez forts pour étouffer ces rêves en leur germe. « Dans le scheol, on ne sent rien, on ne sait rien, on ne voit rien. Les refaïm sont un néant; ils ne louent pas Dieu. Une fois que le souffle de la vie est remonté à Dieu qui l’avait donné, le corps se décompose et revient à la terre[2]. »

C’est ici le point de vue où il faut se placer pour bien apercevoir l’opposition profonde du système aryen et du système sémitique, ainsi que le secret de la divergence absolue de ces deux grandes races en fait de religion. Dans le système aryen, les pitris, les ancêtres, sont des dieux; ils sont immortels; ils existent par eux-mêmes à la face des autres dieux. Dans le système sémitique, une telle conception est l’impiété par excellence. Un seul être existe éternellement : c’est Dieu. L’homme est une créature essentiellement passagère et mortelle. Supposer que quelqu’un est éternel devant Dieu, c’est diminuer Dieu, c’est placer hors de lui des êtres indépendans de lui.

Jusque-là, le système est vrai et logique. Le point où le Sémite s’engage dans d’insolubles difficultés, c’est quand il affirme, non-seulement que Dieu est grand, mais qu’en même temps il est juste, qu’il commande le bien et défend le mal, récompense le bien,

  1. Hou el-bâqi des musulmans.
  2. Cantique d’Ézéchias, dans Isaïe, ch. XXXVIII, 9 et suiv.; Ps. VI, 6; CXIV, 17; Eccl., XII, 7.