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là un accident ; mais, l’an dernier, des professeurs licenciés, délégués dans les lycées à Paris pour y enseigner l’histoire dans les petites classes, ont suivi des conférences préparatoires à l’agrégation faites à la Faculté des lettres de Paris. Nous nous sommes enquis de leur passé et nous avons gardé copie de cet interrogatoire. Cinq avaient passé la trentaine. Voici le curriculum vitæ de M. A. : trente-trois ans ; a été maître répétiteur à Valenciennes, Amiens, Paris, jusqu’à l’âge de vingt-huit ans ; ensuite, professeur de grammaire au collège d’Orange, pendant deux ans ; a demandé, sur le conseil du recteur d’Aix, une chaire d’histoire ; professeur d’histoire à Lunéville ; s’est présenté deux fois à l’agrégation sans avoir eu le moyen de s’y préparer ; a échoué. — M. B. a trente ans ; il a débuté à dix-huit ans ; successivement aspirant-répétiteur à Troyes, à Reims ; maître auxiliaire à Nancy, où il a préparé sa licence ès-lettres ; devenu licencié, a été nommé professeur de seconde à Épinal ; aurait bien voulu être professeur d’histoire ; a, pendant quatre années, attendu une chaire d’histoire ; enfin, professeur d’histoire à Commercy et à Compiègne ; s’est préparé à l’agrégation, sans secours ; a échoué. — M. C. a trente-deux ans ; a débuté à vingt ans, est resté cinq ans maître d’études ; il désirait enseigner la grammaire, mais on lui a donné une chaire d’histoire qu’il a gardée sept ans ; s’est préparé à l’agrégation de grammaire, sans aucun secours ; a échoué ; s’est préparé à l’agrégation d’histoire, sans secours encore, a échoué. — M. D. a trente-quatre ans ; il est resté maître d’études pendant quatre ans ; licencié, il aurait voulu enseigner l’histoire ; a été professeur de quatrième pendant quatre ans, à Guéret ; puis de philosophie et de rhétorique à Saint-Flour, sur réquisition du recteur, qui avait besoin d’un philosophe ; y est resté trois ans, la pénurie de philosophes persistant ; a obtenu enfin la chaire d’histoire du collège de Saintes ; s’est préparé à l’agrégation toujours sans secours ni succès. — M. E., enfin, a été cinq ans maître d’études, six ans maître élémentaire, sans oser demander, quelque envie qu’il en eût, une chaire d’histoire, parce que le professeur d’histoire, ne donnant pas de leçons, est plus pauvre encore que ses collègues. Ainsi, de ces cinq jeunes gens, un a été professeur d’histoire sur un conseil donné en passant par son recteur ; un : second est demeuré longtemps professeur de grammaire, quand il voulait être professeur d’histoire ; un troisième a été professeur d’histoire quand il voulait être professeur de grammaire ; un quatrième a été, plusieurs années durant, philosophe malgré lui ; le cinquième a craint de mourir de faim. Tous les cinq ont un grand mérite : entrés dans l’enseignement public par goût ou par nécessité, ils ne se sont pas endormis ; ils ont conquis le grade de licencié ès-lettres après beaucoup