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histoire, il faudra se mettre à l’école des chartistes. Mais j’exprimais le regret que les élèves des hautes études et des chartes reçussent une culture trop particulière. Il n’est pas bon d’enfermer un jeune homme, au sortir du collège, dans une partie de l’histoire, dans le moyen âge surtout; car cette époque est pleine de séductions que le vulgaire n’y soupçonne point. Le moyen âge a une vie organique riche et variée; il a le labeur prodigieux de ses hommes d’église, théologiens, philosophes, légistes, juges et politiques ; de ses féodaux, qui ont été des souverains et point seulement des batailleurs; de ses paysans, plus vaillans à conquérir la liberté que les nôtres à conquérir la propriété; de ses gens de communes, ouvriers insurgés ou patriciens despotes; de ses rois enfin, procédant de Dieu et de César tout ensemble, sacrés par l’église et instruits par l’homme de loi aux ruses des procureurs, si naïfs et si retors, solennels avec tant de simplicité, cachant sous le manteau béni à Reims une politique sans scrupules dont la persévérance a mis tout un peuple sous leurs pieds. Le moyen âge a ses guerres conduites par des sentimens et des idées ; sentiment du devoir ou du droit féodal, idée chrétienne de l’excellence et de l’universalité nécessaires de l’église, idée césarienne du pouvoir laïque, idée pontificale du pouvoir ecclésiastique, qui recouvrent de leur poésie la violence des hommes, l’esprit d’aventure et le brigandage. Il a son commerce héroïque où le marchand est un découvreur, un soldat, un croisé; sa littérature énorme, où des nouveautés bizarres et grandes s’allient aux restes déformés de la culture antique; ses monumens qui parlent et dont l’architecture révèle à tous la destination, l’église faisant effort vers le ciel, le beffroi surveillant l’horizon, le château étreignant le soi du poids de ses tours. Cette période de l’histoire humaine est faite pour attirer les esprits les plus divers : érudits qui aiment les problèmes difficiles, philosophes qui se plaisent à scruter la pensée humaine en un moment d’élaboration confuse, artistes séduits par l’éclat de tant de couleurs et la variété de tant de lignes, politiques même qu’intéresse le spectacle d’une société produite par le chaos et qui a fini par trouver ses règles et les mettre en codes. Mais l’étude de ces temps reculés est dangereuse. Quiconque n’y apporte point un esprit assez fort pour résister à de semblables séductions, assez libre pour faire à côté du bien la part du mal qui est immense, assez cultivé pour connaître les antécédens, les suites et les points de comparaison, tombe dans le préjugé en faveur du moyen âge, si répandu parmi les chartistes. Il court risque aussi de se perdre dans des détails ou de se confiner dans des recoins, car les recoins sont nombreux, les détails infinis, et l’effet accoutumé d’un apprentissage étroit, où l’étude des moyens techniques