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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/317

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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

célèbre le souvenir. Il nomme les hôtes qui le reçoivent à leur campagne, Phrasidamos et Antigène, deux frères issus d’une des premières familles du pays. Il nomme aussi leur compatriote, Philétas, l’élégiaque illustre, son maître, et le poète Aratus, son ami. Avec ces noms s’en rencontrent un certain nombre d’autres dont on ne sait s’ils sont altérés ou fidèlement reproduits, mais qui désignent des personnages véritables, Enfin, deux bergers, les principaux acteurs du petit drame, ceux qui conversent ensemble et font assaut de talent poétique, sont Théocrite lui-même, qui se cache à demi sous le nom de Simichidas, reconnaissant ainsi, nous disent des témoignages anciens, l’affection et les soins de son beau-père Simichos, et un autre poète, qu’il appelle Lycidas et dont on ignore le vrai nom. Nous voilà donc dans un monde réel, avec des personnages dont chacun était bien connu des lecteurs contemporains, et dont ils prenaient plaisir à retrouver la physionomie et les allures sous ces vêtemens et ces dénominations de fantaisie. De là, tout un ordre d’effets obtenus par un art délicat et spirituel. À la distance où nous sommes, beaucoup nous échappent sans doute ; mais il en est que nous pouvons encore reconnaître. Ainsi nous voyons sans peine comment Théocrite s’est plu à se mettre lui-même en scène sous les traits d’un jeune berger naïf, plein de confiance dans son talent naissant de poète et pressé de le produire. Et, à ce propos, remarquons que cette observation pourrait bien décider d’une manière générale la question de date. En effet, ce plaisir que Théocrite prend à marquer ces traits de jeunesse, cette ironie avec laquelle il les dessine pour en faire un portrait dont on ne saurait garantir la ressemblance, autorisent à supposer un assez grand intervalle entre la date de cette composition et le temps qu’elle dépeint : ce n’est pas sur ce ton qu’un jeune homme fait les honneurs de sa personne. Ajoutons qu’un passage satirique contre les émules impuissans d’Homère semblerait indiquer qu’alors Théocrite avait lui-même renoncé à toute velléité épique, et choisi décidément sa voie.

Il y a une chose incontestable, c’est que ces allégories pastorales, dans la nuance saisie par le poète, ont le plus souvent une saveur fort piquante. Voyez la chanson de Lycidas, ces vers d’une grâce alexandrine et d’une si douce élégance, aboutissant au tableau de la fête champêtre par laquelle il se promet de célébrer le retour de son bien-aimé, parti pour Mitylène. Quel ingénieux mélange de recherche délicate et de simplicité pastorale ! Ce sont les légendes bucoliques de Daphnis et de Comatas que chantera pendant le repas le pâtre sicilien chargé d’embellir par la poésie la réunion des deux amans (il faut se résigner à rencontrer chez Théocrite comme chez Virgile ce trait des mœurs antiques) ; et Lycidas, sans doute en