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voltiger ; de quel siècle suis-je donc ? Les entrechats seraient-ils le prélude des grands mouvemens d’éloquence ? » Habituée sous l’empire aux grâces de M. de Martignac et du jeune barreau que la politique avait entraîné à Paris, la société un peu frivole de Bordeaux ne voyait pas sans surprise une vie de travail qui repoussait toute distraction. De leur côté, les stagiaires examinaient l’avocat arrivé de Paris avec une défiance quelque peu intéressée. Des amis maladroits l’avaient fait précéder d’une réputation qui n’était pas de nature à lui concilier les sympathies de ses nouveaux confrères. N’était-ce pas un étranger que cet enfant de la Saintonge, ne si près d’eux, mais venu de si loin pour usurper leur place ? On le lui fit sentir durement dans les premiers mois. « Ici, dit-il, il semble qu’il faille avoir l’accent gascon pour mériter de la gloire. Heureusement je trouve mon approbation en moi-même, et je m’en console ; » puis avec un retour sur ses hésitations passées : « A Paris, continue-t-il, on ne demande pas de quel département on vient ! ». Il n’était pas d’humeur à répondre à des froideurs par des avances. C’est à la barre, en se faisant redouter de ses adversaires, en se montrant aussi impitoyable pour leurs erreurs qu’indulgent pour leurs personnes qu’il entendait triompher de leurs dédains. L’année ne s’acheva pas sans qu’il eût pris pied par droit de conquête, dans le barreau de Bordeaux. Il y avait fait sa place ; sous un aspect sévère, ses confrères avaient discerné autant de cœur que de talent. Une affaire contribua bientôt à changer sa situation et à faire comprendre ce qu’il valait. On sait que nos lois proclament qu’un citoyen arrêté doit être interrogé dans les vingt-quatre heures qui suivent son arrestation. Parmi les règles légales il en est peu qui aient été plus ouvertement et plus constamment violées. L’administration arrête un citoyen et le livre, quand il lui plaît, à la justice. Suivant le degré de respect porté sous différens régimes à la liberté individuelle, la détention administrative est plus ou moins longue. À Bordeaux, en 1821, un officier de marine que défendait M. Dufaure avait été détenu, avant d’être amené devant un juge d’instruction, quatre-vingt-quatre jours. C’était un acte arbitraire que dénonça le défenseur, dès le début de son plaidoyer. « Vous insultez les autorités, s’écrie le président ; je vous rappelle à l’ordre. »

L’avocat pâlit de colère, mais il sut se contenir : « Monsieur le président, je cite un fait et j’invoque une loi ; je suis dans les bornes d’une légitime défense ! — Non, réplique-t-il, car vous oubliez le respect que vous devez aux magistrats. — Je ne connais d’autre règle que la loi et je croyais que les tribunaux pensaient de même. » Le rappel à l’ordre fut maintenu ; le procureur du roi, dans son réquisitoire, rejeta la faute sur l’autorité municipale et