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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/625

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conclut en faisant observer qu’en qualité d’étranger il n’était pas étonnant que l’avocat ignorât le respect dû aux magistrats devant lesquels il parlait. Cet incident, bientôt connu dans le palais, avait attiré tous les jeunes avocats dans la salle du tribunal correctionnel, et ce fut devant un nombreux auditoire qu’il termina ainsi sa réplique : « Après avoir montré et réfuté tant d’erreurs dans le réquisitoire de M. le procureur du roi, il ne me serait pas difficile d’en montrer et d’en réfuter de plus graves encore si la parole m’était permise sur certains sujets. Je lui dirais que, si l’autorité administrative est auteur de la détention arbitraire que j’ai dénoncée, je me suis plaint de l’autorité administrative et non de lui, ni de son confrère, car je n’ai nommé personne en particulier. Je lui dirais qu’il est servile de prétendre que l’autorité municipale peut emprisonner à son gré les citoyens qu’elle trouve dangereux ; je lui dirais que le contraire est prouvé par la loi même qui, l’an dernier, autorisa ces emprisonnemens sur la signature de trois ministres. Mais, je le répète, on permet ces principes dans la bouche de l’accusateur public et on ne souffre pas leur réfutation dans celle du défenseur ; aussi, je me tais. Toutefois, je dois lui déclarer, avant de finir, qu’il n’est pas besoin d’être de sa ville pour savoir le respect que l’on doit aux magistrats et aux lois, mais aussi qu’il suffit d’avoir quelques gouttes de sang français dans les veines pour savoir ce que l’on doit de haine à l’arbitraire et de protection au malheur. »

L’effet de cette péroraison fut considérable. Si l’avocat perdit sa cause devant ses juges, il la gagna devant ses confrères. Le barreau s’émut ; le conseil de discipline s’assembla chez le bâtonnier ; on résolut de faire une protestation contre ce rappel à l’ordre, comme blessant l’indépendance de la robe, mais en même temps on exigea une plainte du défenseur. Jules Dufaure refusa. « J’aime bien, écrit-il à son père, être indépendant des avocats comme des magistrats ; aussi je ne veux pas les appeler à mon secours. Ils doivent connaître leur devoir ; qu’ils le fassent. Moi, j’ai soutenu mes droits à l’audience, j’ai fait le mien. » Tant de vigueur unie chez un stagiaire à tant de fierté ne pouvaient passer inaperçues. En juin 1821, la défense aux assises de deux accusés de propos séditieux acheva de le mettre en relief. Il obtint un acquittement qui fit quelque bruit. Le journal libéral par la pour la première fois de l’avocat, prononça son nom avec éloges. Cette affaire fut fort utile à sa réputation, et avant la fin de juin il avait reçu dix causes nouvelles. Aussi quelles acquisitions de livres ! que de rayons nouveaux dans sa bibliothèque ! La place manquait. Il fallut, cette fois, changer de demeure et en prendre une où les in-folio pussent tenir. Dès cette époque, s’il avait su se faire payer, il aurait conquis cette indépendance