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peut, à coup sûr, réclamer et, s’il n’est pas fait droit à sa plainte, exiger satisfaction.

Mais la grande majorité des publicistes admet que « chaque état a le droit d’interdire l’entrée de son territoire à certains étrangers pour motifs politiques ou judiciaires. » Cette formule, empruntée à Bluntschli, nous semble irréprochable. Toutefois il s’agit encore, après avoir ainsi défini le droit de l’état, d’en déterminer exactement la portée. Bluntschli manque ici de hardiesse ou de précision : « Le droit d’expulser les étrangers n’est pas un droit absolu, dit-il. On reconnaît cependant presque partout à l’état la faculté d’expulser les étrangers par mesure administrative. « Il importe d’examiner la question d’un peu plus près.

D’abord les expulsés peuvent-ils recourir au pouvoir judiciaire? Faut-il leur laisser le droit de faire ainsi contrôler et, le cas échéant, annuler la décision administrative? Quelques publicistes remarquent à ce propos que l’expulsion est une sorte de bannissement et, par conséquent, une véritable peine[1]. Or, s’il s’agit d’appliquer une peine, le dernier mot doit appartenir aux juges.

A nos yeux, l’expulsion n’est pas une peine. Une peine est le châtiment légal d’une infraction expressément prévue par la loi. Aussi, bien que les bannis soient astreints, comme les expulsés, à quitter le territoire, n’y a-t-il pas d’analogie entre le bannissement et l’expulsion. On bannit, par exemple, un ministre qui a ordonné un acte attentatoire à la liberté individuelle (art. 114 et 115 du code pénal), mais c’est à la condition qu’il soit légalement convaincu de cet attentat. Au contraire, on expulse sans débat contradictoire un étranger qui, par ses menées secrètes, compromet la sûreté publique. Le crime n’est pas commis et l’on ne veut pas, — est-ce un tort? — attendre qu’il se commette. Si cet étranger reste plus longtemps sur le sol national, il éclatera des grèves terribles ou des insurrections, et l’on ne veut pas attendre que le pays soit ensanglanté. Est-ce que la légitimité d’une telle expulsion peut être soumise à un jury? Imagine-t-on qu’une discussion s’engage entre le ministère public et les avocats, non plus sur une question de culpabilité, mais sur une question de haute administration? Faudra-t-il apporter à la barre les rapports confidentiels des préfets, révéler à l’audience certains périls intérieurs, peut-être même des périls extérieurs, au risque d’inquiéter toute la nation, d’arrêter certaines transactions ou d’empêcher la bonne issue des plus graves négociations diplomatiques? Faudra-t-il raconter aux juges ce qu’un ministre des affaires étrangères, s’il est prudent, tairait quelquefois à la représentation nationale elle-même? Enfin, s’il est absolument nécessaire d’agir sans délai,

  1. V. Haus, Principes de droit pénal belge, p. 440.