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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/731

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puériles dans lesquelles on étreignait la presse jusqu’à l’étouffer. Il fallait tourner plus de sept fois sa plume entre ses doigts avant d’écrire un mot, car, ainsi que devant le tribunal de la pénitence, on pouvait pécher par pensée, par parole, par action et par omission. Le dispensateur des coups de férule, à la fois juge et partie, était un et multiple. L’administration, exercée en province par les préfets et par les sous-préfets, était représentée à Paris par le ministre de l’intérieur, qui, en bon collègue, ne refusait rien aux ministres, directeurs, chefs de division, chefs de bureau, lorsque ceux-ci demandaient « un exemple. » Comme toujours, les subalternes se montraient les plus durs dans la répression ; si l’on arrivait jusqu’au ministre, on avait quelque chance d’être épargné; si l’on parvenait à monter jusqu’à l’empereur, il levait les épaules et disait : « Ces gens-là sont trop bêtes! » Je n’en disconviens pas. Certains salons, certaines alcôves exerçaient la toute-puissance ; toucher aux amis de la dame du lieu, c’était s’exposer aux foudres des Jupins administratifs, qui gardaient volontiers un petit tonnerre en réserve au service des maisons où l’on dînait bien. L’empereur ignorait ces vilenies, mais on les commettait en son nom, sous prétexte de protéger son régime, et l’histoire est en droit de les lui reprocher. Je citerai un exemple de la façon de procéder de ce temps-là, et comme j’étais en cause, je sais l’anecdote par le menu.

Le 16 mars 1854, je lisais au coin de mon feu, lorsque je fus prévenu qu’un employé de la sûreté générale désirait me parler. Je donnai ordre de l’introduire et je vis un jeune homme fort aimable qui me dit : « M. le directeur de la sûreté générale voudrait avoir un entretien avec vous. » Je répondis que j’étais prêt à déférer à toute lettre de convocation qui m’indiquerait le jour et l’heure de l’audience. Le jeune homme reprit en souriant : « J’ai une voiture en bas et je suis chargé de vous amener le plus tôt possible. » Cela devenait grave ; je fis rapidement mon examen de conscience et ne me trouvai coupable d’aucun méfait. Je ne savais trop ce que c’était que la sûreté générale. Le mot sonnait désagréablement à mes oreilles, comme eût sonné le nom de Pierre-Encise ou de Pignerol; en outre, j’avais beau me creuser la cervelle, il m’était impossible de deviner le motif de cet enlèvement et je trouvais excessif de m’envoyer chercher en voiture à mon domicile par un messager très courtois, il est vrai, mais qui rappelait un peu trop les exempts du temps du duc de La Vrillière. Le directeur de la sûreté générale se nommait Collet-Meygret ; je fus introduit près de lui, et comme il ne m’invita pas à m’asseoir, je m’installai dans un fauteuil. La lèvre épanouie, le regard protecteur, la voix importante, Collet-Meygret me dit : «Nous désirons, monsieur, le gouvernement exige