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seulement ; mais cela suffisait et l’on avait sous les yeux Arnolphe tout entier, et Arnolphe comique, étourdissamment comique. Cela n’étonnera pas ceux qui savent quel diseur était Samson. Il lui était donné, sous ce rapport, une faveur rare ; celle de réaliser sa propre théorie, — qu’on me permette de m’y arrêter en passant, — c’était que tout au théâtre tient à la diction et tient dans la diction.

« Dire tout, tout indiquer, tout accentuer, tout faire entendre, exprimer l’homme tout entier, son éducation, ses travers, ses passions, avec ce souffle de la voix si uni, si égal en apparence, si merveilleux en réalité, si insaisissable dans la délicatesse de ses nuances, qu’il n’existe pas de notation pour elles et qu’aucun instrument artificiel ne saurait les exécuter : c’était là qu’il voyait la perfection de son art, la science exquise du véritable comédien français[1]. » Il affectait de dédaigner les autres parties de l’acteur, estimant que la diction les peut remplacer, tandis que rien ne la remplace. Il trouvait d’un art grossier, par exemple, ces recettes faciles pour provoquer le rire, les entrées étourdissantes, les lazzi, les répétitions de mots, comme s’en permettait Monrose : Monrose disait :


... Et si dans la province
Il se donnait en tout vingt coups de nerf de bœuf
Mon père pour sa part en emboursait dix-neuf... dix-neuf !


ajoutant ainsi deux syllabes à son vers et estropiant son auteur. Cela horripilait Samson, pour qui un acteur du Théâtre-Français n’est jamais assez littéraire. On sait s’il l’était, lui. Il faut dire qu’il sacrifiait tout à son art, même le goût des autres. Il n’entendait rien en peinture, non plus qu’en musique, et cela lui était égal. Il n’avait chez lui, en fait de tableaux, que deux portraits, l’un de Molière, l’autre de Corneille. — « Mais, cher maître, me hasardai-je à lui demander un jour, expliquez-moi donc pourquoi l’on ne voit dans votre cabinet que ces deux portraits, qui sont deux croûtes ? — Vous croyez? me répondit-il. Moi, je les trouve ressemblans. »

Cela lui suffisait. Ah! il n’eût pas écrit la Gloire du dôme du Val de Grâce, lui ! Et pourtant ce mécréant en peinture, une fois devant sa glace, savait se faire une tête qui était une œuvre de maître ; et quand il entrait en scène, la perruque était peut-être de travers et le costume incomplet, mais l’homme y était : et il n’avait qu’à parler, et l’homme vivait, vivait et charmait. Merveille, je le répète, qu’il pouvait réaliser, même loin de la scène, en face d’un verre d’eau et d’un encrier, n’ayant que son filet de voix et l’art d’en jouer

  1. M. Éd. Thierry, Discours prononcé sur la tombe de Samson.