pour créer une illusion complète et vous faire voir l’Arnolphe de Molière, ce fou fieffé, ce brutal, avec ses roulemens d’yeux de jaloux qu’on dupe et ses larmes niaises !
Je dis l’Arnolphe de Molière, car on n’est pas ici dans la même incertitude que pour Alceste, on sait comment Molière jouait le rôle ; il a pris soin de nous en instruire lui-même dans la Critique, et les indications que j’ai réunies dans mon compte-rendu de la première sont tirées des contemporains. S’il penchait d’un côté dans son interprétation du rôle, c’était plutôt du côté de la charge ; et principalement dans cette scène du cinquième acte, où il se sauvait ainsi d’un double danger ; celui de faire plaindre Arnolphe, ce qu’il ne voulait pas, et celui de le rendre trop odieux, ce qui n’est pas non plus de l’essence de la comédie.
Car cet Arnolphe, auquel on a voulu assimiler ce généreux Molière, cet Arnolphe, si vous voulez bien y regarder de près, est un fort vilain sire. Il est égoïste et cynique, il n’a que mépris pour la nature humaine, et surtout pour cette pâte féminine qu’il s’imagine pétrir à son gré et à son usage. Il a acheté Agnès à quatre ans, comme un Turc, dirait Lisette, qui achète pour son harem une petite fille; il l’a voulu rendre idiote, il le dit ; il arait défendu qu’on lui apprit à écrire; c’est pis que ce butor de Sganarelle, qui enfermait Isabelle, mais qui la laissait lire, et Arnolphe a trouvé mieux que les verrous et les grilles ; c’est l’âme qu’il veut mettre en cette prison, l’ignorance. Tout cela pour se réserver une servante. Le mariage, en effet, comme il l’entend, c’est une clôture, et Agnès devrait se priver de ses cinq sens pour satisfaire uniquement aux siens. Véritablement, il n’a pas de pudeur, et, comme tous les libertins finissans, cet être sans morale et sans foi tâche à tourner à son profit la foi et la morale, et il apprend le catéchisme à Agnès, comme Louis XV aux petites filles du Parc-aux-Cerfs ; mais un catéchisme à l’usage des maris, où le diable est constitué le gardien et le vengeur de l’honneur conjugal, et celui qui fait bouillir en enfer les femmes mal vivantes. Et ce catéchisme sera l’unique entretien d’Agnès ; elle y devra régler sa vie ; sans doute, elle trouvera en tête le calendrier des vieillards…
Bref, il entend la faire absolument sa chose; et lorsqu’à la fin il la voit insensible à ses sottises, il s’emporte ; il répond à la confiance de ce pauvre Horace par une trahison et va, de ce pas, se venger d’Agnès en la jetant dans un cul de couvent. — le mot est de lui.
Tout cela, n’est-ce pas, est assez odieux, en somme. Mais Molière,