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de ne pas trop effaroucher à Vienne et à Berlin, C’est, pour le moment, la preuve que la Russie, au lieu d’être disposée à se jeter dans les aventures panslavistes pour échapper à ses difficultés intérieures, sent le besoin de s’épargner à elle-même, d’épargner à ses voisins de nouveaux conflits, — et la paix du Nord assurée pour quelque temps, c’est la paix de l’Europe. On n’en demande pas davantage.

Il y a des crises partout, au midi comme au nord, et bien loin de la Russie, à l’autre extrémité du continent, l’Espagne pour sa part ne laisse pas d’être depuis quelques jours dans une situation singulièrement compliquée ; elle n’en est pas aux insurrections révolutionnaires ou aux séditions militaires, elle est pour l’instant dans une phase d’émotions et d’embarras assez graves. Il en est au-delà des Pyrénées comme dans tous les pays. Tant que la politique reste circonscrite dans un parlement, entre des partis, entre des rivaux de pouvoir, elle ne crée qu’une agitation superficielle, plus bruyante que profonde ; dès que par ses œuvres elle touche aux conditions positives et pratiques de la vie universelle, aux habitudes, aux intérêts, à la bourse, le danger devient plus grand parce qu’alors c’est la masse qui se sent atteinte, qui entre en mouvement, et c’est la précisément ce qui arrive au-delà des Pyrénées. Le ministère libéral ou « fusionniste » qui existe depuis plus d’un an déjà Madrid et qui réunit des hommes comme M. Sagasta, le général Martinez Campos, le marquis de la Vega y Armijo, M. Camacho, M. Alonso Mariinez, ce ministère n’a pas éprouvé de difficultés bien sérieuses, tant qu’il n’a eu qu’à se défendre contre une opposition de partis ou à discuter des questions plus ou moins abstraites de politique. Il s’est fait une majorité, il l’a gardée jusqu’ici ; tout se réduisait à des interpellations, à des débats souvent assez vifs, suivis invariablement d’un vote favorable. Depuis quelques semaines, la question a changé de face et s’est étrangement compliquée ; l’agitation est dans le pays, dans les masses elles-mêmes, et la cause réelle de cette crise est la politique financière et économique que le cabinet a voulu inaugurer.

Le déficit est un mal qui existe depuis longtemps en Espagne, mais ce déficit lui-même tient à des raisons très multiples et il n’est que le signe d’une situation où les incohérences, les désordres se sont accumulés à la suite de révolutions sans nombre. Le ministère de M. Canovas del Castillo s’était déjà occupé activement de la réorganisation des finances ; il avait courageusement mis la main à l’œuvre, il n’a pas pu aller jusqu’au bout. Le nouveau ministre des finances, M. Camacho, pour l’honneur du cabinet libéral dont il est membre, a voulu remédier au mal, en prenant pour ainsi dire la situation corps à corps, sans craindre de soulever bien des problèmes à la fois. Il a commencé par un règlement de la dette devenu absolument nécessaire pour rétablir le crédit espagnol. Malheureuse-