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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/960

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ment pour rétablir le crédit d’un pays comme pour faire disparaître le déficit dans le budget, il n’y a qu’une manière connue, c’est de demander de l’argent aux contribuables. M. Camacho a donc entrepris d’augmenter les revenus de l’état en remaniant un certain nombre de contributions, l’impôt territorial, l’impôt sur l’industrie, le régime des octrois dans les villes. Le cabinet de Madrid ne s’en est pas tenu là : il a voulu réaliser en même temps quelques innovations de politique commerciale. Il a négocié avec la France un traité de commerce que nos chambres ont récemment approuvé, qui n’a certes rien d’excessif et qui dans tous les cas ne peut que profiter aux vins espagnols. Une fois dans cette voie, le ministère s’est proposé des réductions progressives de tarifs, et il a particulièrement l’intention de mettre plus de libéralisme dans les relations commerciales de la métropole avec les colonies. C’est un des points de la politique que l’on veut appliquer à l’île de Cuba. Tout cela constitue un ensemble de mesures économiques et fiscales qui n’ont certes par elles-mêmes rien d’extraordinaire, mais dont l’application, souvent assez malheureuse, est devenue justement la cause de toutes les difficultés, de toutes les agitations.

Ce qu’il y a de certain, c’est que l’exécution des projets ou des mesures du ministre des finances a rencontré partout une résistance passionnée, un peu imprévue par la forme et les développemens qu’elle a pris. Dans une foule de villes, à Valladolid, à Zamora, à Séville, à Saragosse, à Santander, dans la Galice et les Asturies comme à Valence, aussi bien qu’à Madrid, les contribuables se sont, comme on dit ; mis en grève. Ils ont fermé leurs magasins et refusé de payer. Ils ont laissé saisir leurs meubles, leurs fonds de commerce. Des syndicats se sont formés pour organiser et soutenir la résistance. Bref, l’insurrection passive contre le fisc est devenue bientôt assez générale ; mais la partie de l’Espagne où elle s’est le plus fortement concentrée, où elle n’a pas tardé à prendre un caractère singulièrement grave, c’est la Catalogne, la province la plus industrielle, la plus populeuse, la plus remuante de la péninsule. Ici l’agitation a été assez menaçante un instant pour motiver l’intervention militaire dans un des faubourgs de Barcelone. En réalité, cependant le mouvement n’a pas trop cessé d’être pacifique ; il s’est manifesté pendant quelques jours par la suspension du travail des fabriques, par la désertion des ouvriers, par les promenades dans les rues, par la clôture inévitable des magasins. Barcelone s’est trouvée pendant plus d’une semaine au pouvoir d’une multitude de manifestans que le commandant de la province, le général Blanco, a eu la prudence de ne pas traiter trop militairement. Chose curieuse ! jusqu’ici il y a eu toujours une division tranchée, un antagonisme violent entre les patrons et les ouvriers. Les patrons, les chefs d’industrie ont été généralement favorables à la restauration et peuvent passer pour conservateurs ; les ouvriers sont restés révolution-