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générales, sans certitude dans les prévisions, en raison de la complication extrême de cette science, la loi de l’évolution, par exemple, qui est vraie si on l’applique au passé, une loi qu’Auguste Comte a incorporée à sa doctrine, dont M. Littré a tiré un si beau parti dans ses appréciations historiques, mais qui assurément existait avant eux et que beaucoup de philosophes acceptent sans être positivistes à aucun degré. — Quoi enfin ? « La philosophie qui résulte de la coordination du savoir humain, » c’est-à-dire, sous un terme plus clair, la conception positive du monde. Cela seul est d’essence positiviste. Mais qu’est-ce que cette conception ? Nous n’étonnerons aucun de ceux qui sont au courant de ces questions en disant que c’est moins un dogme qu’une négation. Elle s’oppose, nous dit-on, à deux autres conceptions, la conception théologique, d’après laquelle l’homme imagine dans la création et le gouvernement du monde des volontés dont il fait des dieux ou une volonté dont il fait un dieu unique, et la conception métaphysique d’après laquelle l’homme supprime des volontés arbitraires et les remplace par des entités, des forces, des causes permanentes. La conception positive du monde n’imagine et ne suppose rien ; elle traduit ce qui est sous ses yeux et ce qui se révèle à l’observation sensible, un monde de phénomènes unis par des relations constantes, un monde où règnent non plus des volontés ni des causes mystérieuses, mais des lois ; un monde d’où sont bannis, avec les dieux des vieilles théologies, l’absolu et l’infini de l’ancienne métaphysique ; un monde où tout émanant de l’expérience retourne à l’expérience, où le savoir n’est que l’expression exacte de ce que l’expérience y a mis, où il est admis qu’aucune réalité ne peut être établie ni par l’intuition, ni par le raisonnement, que rien ne peut être deviné, que tout ce qui n’est pas observable est comme s’il n’existait pas. — Qu’y a-t-il là autre chose que le rejet hors de la philosophie de tout ce qui n’est pas un phénomène sensible ou une loi ? Et quand on nous dit que désormais il n’y aura plus de conflit possible entre la philosophie et la science positives, vraiment le contraire serait bien étrange, puisqu’on ne met dans la philosophie que précisément ce qu’il y a dans cette science. La philosophie n’est plus, dans son contenu et dans sa méthode, que la généralisation la plus haute des sciences particulières ; elle n’a plus rien qui lui soit propre ; elle n’est plus que « la coordination du savoir positif. » C’est au fond une pure négation. Il est vrai que cette négation n’est pas une négation absolue ; on ne nie pas qu’il y ait un infini, un absolu, une cause première ; ou l’ignore et l’on veut l’ignorer ; hors des matières de l’expérience sensible, ce qui se passe ne nous regarde plus ; on s’abstient même d’y penser, on n’en sait rien et l’on se liait gloire de n’en rien savoir. Telle est la conception du monde que