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s’amoncellent des coquilles d’huîtres, des tessères, de vieilles semelles de crépides, des tranches des pastèques et autres détritus. Ce tableau, qui frappe par la composition mouvementée, la restitution érudite du décor et la vivacité du coloris, est un beau début. Nous demanderons seulement au jeune peintre de veiller mieux à la dégradation des tons. La perspective est bien rendue, mais les personnages des derniers plans et ceux des premiers plans, ayant les mêmes valeurs, se confondent au détriment de l’illusion optique. L’art du peintre vit de sacrifices. Comme qualité de touche, nous ferons remarquer, dans le groupe précédant le cortège, le modelé du corps grêle de l’enfant qui porte le glaive à poignée en tête d’aigle, et le relief de la tête de l’autre enfant qui s’est accoutré du manteau de pourpre.

Si un seul peintre s’est rappelé l’histoire de Rome, plusieurs se sont souvenus des mœurs et des usages des Romains. Voici la Veuve, de M. Fritel : une femme qui vient avec ses deux jeunes fils apporter des offrandes sur le tombeau de son époux. Pourquoi M. Fritel, qui a si bien trouvé le sentiment profond, n’a-t-il pas voulu donner un peu de vie et de couleur à cette figure ? C’est la même froideur, la même immobilité, le même ton éteint pour la femme et pour la statue couchée sur le sarcophage. Voici la gracieuse Flabellifer, de M. Gustave Boulanger, cette esclave qui avait pour tout service de porter l’éventail de sa maîtresse et de l’éventer pendant sa toilette et à l’heure de la sieste sur le lectulus. Voici la Fiancée, de M. Jules Lefebvre, que l’on pare pour la conduire devant l’autel domestique. Quelle grâce chaste dans son maintien ! quelle pureté radieuse dans son expression ! Et qui dira le ravissant sourire de la sœur aînée, qui lui attache le voile nuptial, et le sourire plus divin encore de la jeune sœur, qui, agenouillée près d’elle, lui tient les deux mains ?

M. Albert Maignan a vécu dans l’époque mérovingienne. Il sait en exprimer, comme un contemporain, le caractère farouche et la sombre tristesse. Voyez son Audovère répudiée qui fuit, portant son enfant dans ses bras et accompagnée d’une seule servante. Rien de sinistre comme ces deux figures traversant une plaine déserte, parsemée de bouquets de bruyère, qui s’étend à l’infini sous un ciel lourd de pluie. M. Richter a peint des truands et des ribaudes qui, comme le diable, ne sont pas si noirs qu’ils en ont l’air. Pierre Gringoire, de famélique mémoire, trouvait des consolations à la cour des Miracles. L’Empereur Rodolphe II chez son alchimiste, de M. Brozik, est une peinture large et brillante, avec de vives oppositions de couleurs et de beaux jeux de lumière. On aimait cela il y a trente ans, il paraît que c’est aujourd’hui démodé. Tant pis pour la mode ! M. Alfred Didier, lui aussi, est un coloriste et un