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vie et de mouvement ; en Italie, plus vraiment philosophique, plus au courant des philosophies nouvelles, plus savante, plus profonde, plus éclairée : Lamennais et Rosmini sont les deux noms qui résument ces deux grandes réformes de la pensée catholique à cette époque. Enfin, même après la chute de l’école théologique française, école trop mondaine et trop profane pour être la vraie expression de l’église, celle-ci ne demeura pas étrangère à la haute philosophie. Un noble esprit, un cœur simple et généreux, l’une des âmes les plus vraiment pieuses de notre temps, M. l’abbé Gratry, honora le clergé français par une tentative philosophique des plus estimables : plus d’imagination peut-être que de logique, plus d’élévation de pensée que de précise analyse, quelquefois un excès d’emportement qui l’empêchait d’étudier de près ce dont il parlait, tels étaient les défauts de ce philosophe ; mais il avait incontestablement des vues personnelles, des saillies heureuses ; il remuait les questions, il réveillait les esprits : c’était un penseur, un chercheur, un méditatif. Il faut le dire, depuis l’abbé Gratry, le clergé français paraît s’être un peu désintéressé de la philosophie. Même l’église catholique en général paraît avoir eu peur de la pensée. Par un esprit de réaction aussi peu éclairé dans le domaine scientifique que celui qu’elle a affiché sur le terrain politique, elle a cru devoir retourner à la scolastique et en reprendre jusqu’à la forme la plus décriée, celle du syllogisme. Toute la pensée moderne, depuis Descartes, a été condamnée. Les doctrines les plus nobles, qui pouvaient se couvrir cependant de l’autorité de saint Augustin, ont été dénoncées comme suspectes sous le nom d’ontologisme. Le silence s’est fait dans le monde catholique ; et les pratiques pieuses, les œuvres de charité et les agitations politiques ont entièrement absorbé l’activité ecclésiastique.

Cependant, quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, la pensée est quelque chose dans le monde. Elle n’est pas tout sans doute ; elle ne conduit pas tout ; l’homme n’est pas un esprit pur, une raison pure ; il a des sens, un cœur, une imagination, des besoins pratiques qui ne se contentent pas du doute méthodique et de la vision en Dieu. Mais si la pensée n’est pas tout, elle est cependant, et l’on ne peut se passer d’elle. Aucune grande domination dans le monde ne s’est établie et n’a duré que par la participation de la pensée. Nous l’avons montré déjà pour le christianisme à son origine et pour le catholicisme aux grandes époques de son histoire ; on en peut dire autant du protestantisme. Quand la réforme eut lait l’Allemagne moderne, elle y engendra une philosophie ; car la philosophie allemande se lie étroitement, comme Hegel l’a montré dans son Histoire de la philosophie, au dogme chrétien réformé. La